Comédie de Michel Vinaver, mise en scène de Valérie Grail, avec Cédric David, Luc Ducros, Agathe L’Huillier, Julie Ménard et Mireille Roussel.
"Les travaux et les jours", spectacle écrit par Michel Vinaver en 1977, est un petit bijou de drôlerie et de poésie qui décrit avec finesse les mécanismes de démantèlement du lien affectif de l'homme avec son travail, phénomène aujourd'hui banalisé mais qui représente à l'époque un changement sociétal profond.
La société Cosson est une entreprise familiale dont la renommée a dépassé les frontières. Des quatre coins du monde, ils sont nombreux ceux qui ne pourraient moudre leur café qu'avec un moulin Cosson. Au service après-vente, Anne, Nicole et Yvette, répondent aux récriminations des utilisateurs, tandis que Guillermo contrôle les appareils défectueux retournés et que Jaudouard supervise tout ce petit monde.
Ce contact, cette prise en charge, c'est la marque de fabrique et de qualité que la maison revendique. Dans ce lieu à la fois clos et parti prenante de l'entreprise, les ambitions et les rêves de chacun font le quotidien du service. Lorsque la société est rachetée par le groupe Beaumoulin, le destin de ces 5 personnes va basculer en même temps que celui de leur entreprise.
Michel Vinaver, qui a cumulé pendant 30 ans les fonctions de PDG de Gillette France et de dramaturge (entré en 2009 au répertoire de la Comédie Française) décrypte dans son style si particulier les relations amoureuses qui co-existent entre l'entreprise, ses clients et ses employés dans la société française du début des années 80.
Ce spectacle, véritable flux tendu de dialogues croisés mêlant tout à la fois les domaines personnels, professionnels et économiques, parle avec une franche brutalité de l'implacable machinerie à déshumaniser le travail qui s'est d'ors et déjà mise en route en cette année 77 et trouve un écho retentissant dans notre actualité.
Il nous décrit tout à la fois la sommes des individus qui forme et enrichi l'entité Cosson, et la toile de sentiments qu'ils tissent et qui va bien plus loin que le cadre d'un simple contrat de travail. Si comme dans toute relation amoureuse, celle-ci n'est pas exempte de tensions voire de conflits, il décortique comment ceux-ci l'amène à un point de rupture sous l'action de forces contraires.
Valérie Grail a su admirablement rendre cette ambiance de fin des années 70, avec des jupes mini, des manteaux maxi, des couleurs et des imprimés rétros ainsi que des décorations plastiques d'un kitch adorables.
Grâce à une mise en scène très étudiée et quasiment chorégraphiée, elle sublime le rythme donné par les dialogues savamment décousus de Michel Vinaver, faisant de ces pantins qui virevoltent en cadence la préfiguration des employés qu'ils sont en devenir, jetés ou re-localisés, remplacés par des machines qui signent la mort du contact humain, mais assurent une efficience nouvelle maitresse à bord.
Elle s'appuie pour cela sur une musique originale de Stefano Genovese et une scénographie de Charlotte Villermet qui créent une identité visuelle et sonore forte au spectacle. Les comédiens, Cédric David, Luc Ducros, Agathe l'Huillier, Julie Ménard et Mireille Roussel, sont d'une drôlerie et d'une précision redoutable, jonglant sans cesse avec des dialogues ciselés et des chorégraphie étudiées.
Cette pièce que Valérie Grail semble avoir longuement murie avant de la mettre en scène est une réussite tant sur la forme que sur le fond, parfaitement mis en valeur. |