Il n'est pas facile le public français avec ses artistes locaux. Toujours à leur reprocher de chanter plus souvent qu'à leur tour dans la langue de Shakespeare mais se détournant bien souvent d'eux lorsque les mots flirtent de trop près avec celle de Molière.
Il faut reconnaître qu'il y a de quoi être méfiant. Peu nombreux en effet sont ceux qui savent charmer dans notre langue sans tomber dans une variété molassonne et niaise. On pense bien évidemment au talent de Dominique A qui a su s'adresser à un large public et ouvrir un peu le champs des possibles, Jean-Louis Murat mais également à Holden, Arlt qui restent autant de secrets bien (trop) gardés. Barbara Carlotti se situe un peu entre deux eaux.
En démarrant sa carrière avec une signature quasi historique sur le prestigieux label anglais Beggars (c'était la première – et dernière ? – signature d'une artiste française avec la branche française du label), Barbara Carlotti s'est rapidement constituée un public plutôt pointu et relativement confidentiel, venant du rock indépendant tout en étant fan par exemple de Murat. Public idéal mais exigeant et surtout numériquement peu élevé.
Depuis, le temps a passé, son public d'origine lui a pour la plupart tourné le dos, prenant la dame pour celle d'un seul album (Les Lys Brisés), au fur et à mesure que d'un autre côté Carlotti s'ouvrait à d'autres publics, changeait de maison de disque et se faisait accessoirement décoré par Mitterand avant qu'il ne remballe son stock de médailles dans ses cartons ministériels en ce beau début de mai 2012.
Mais parlons donc musique puisque vient aussi de paraître L'amour, l'Argent, le Vent, troisième album de cette corse qui redore à elle seule le blason artistique de sa belle île.
Car oui, ce nouvel album est réussi et la langue française y est joliment maniée au milieu d'une musique "pop" joliment surannée qui rappelle parfois Broadcast ("Marcher ensemble") même si, encore une fois, le chant en français est perturbant dans un premier temps. On est bien loin ici de la sempiternelle guitare sèche qui suit le chant comme trop souvent dans la chanson française. Les arrangements sont élégants, peu de guitare, beaucoup de clavier, de cordes, des sons graves envoûtants.
La voix est toujours aussi élégante et toute aussi envoûtante. On est rapidement charmé, plus rarement mais ça arrive agacé par son style particulier, comme si Barbara Carlotti chantait plutôt que de parler et inversement.
Les textes sont également très affûtés et les sonorités ont autant d'importance que le sens, sans jamais que l'un ne concède du terrain à l'autre.
Si l'ensemble est plutôt placé sous le signe de la mélancolie, très poétique, Carlotti s'autorise quelques incartades comme le très yéyé "Quatorze ans" ou une charmante ballade en compagnie de Philippe Katerine un peu à contre-emploi dans un esprit un peu Jacques Demy, un peu "Bonnie and Clyde" qui lui va bien. Et encore une fois l'orchestration apporte beaucoup de profondeur au titre. "Ouais, ouais, ouais, ouais", "Marcher ensemble" ou encore "Mon dieu mon amour" sont suffisamment de bonnes raisons d'acquérir ce disque, les autres titres valant également leur pesant d'émotions et de frissons.
L'Amour, L'Argent et Le Vent est un très beau disque que l'on aurait tort de classer trop hâtivement dans le rayon chanson française mais plutôt dans celui des héritiers d'une pop internationale auprès des Dominique A, Joseph d'Anvers, Murat et... hum, je ne trouve pas de fille bizarrement mais je vous laisse vous faire votre idée. |