Comédie dramatique d'après le roman de Thomas Bernhard, mise en sècne de Claude Duparfait et Célie Pauthe, avec Claude Duparfait, François Loriquet, Annie Mercier, Hélène Schwaller et Fred Ulysse. A partir du roman autofictionnel éponyme de Thomas Bernhard, Claude Duparfait et Célie Pauthe ont conçu une excellente partition théâtrale,.qui rend compte avec intelligence et justesse de ses trois pôles thématiques que sont l'irritation récurrente de l'auteur, le processus de création littéraire et la posture de l'artiste.
Dans "Des arbres à abattre", sous-titré "Une irritation", Thomas Bernhard, dont l'irritation est un moteur scriptural, n'en finit pas de se gratter où cela le démange et la cause majeure de ses érythèmes chroniques tient à la schizophrénie induite par son ambivalence amour/haine tant dans son rapport avec son pays, l'Autriche et Vienne en particulier en tant que capitale culturelle, qu'avec l'altérité.
Par ailleurs, il illustre, à partir d'un événement anecdotique, la genèse créatrice qui tient à l'agrégation et à la sédimentation Cette partition, que Claude Duparfait et Célie Pauthe qualifient de "roman-théâtre", se compose donc de trois actes, et d'un dispensable intermède vidéo, dont le premier constitue l'opus majeur dont les deux suivants sont les déclinaisons.
Le premier acte est constitué d'un monologue logorrhéique et circulaire tenu par un écrivain quinqagénaire atrabilaire, égocentrique et mégalomane qui vitupère, non sans humour et avec une vraie mélancolie désenchantée, contre "cette épouvantable société artistique viennoise" et ses acteurs surfaits qui l'empêchaient de vivre et stérilisaient son génie littéraire et qu'il a quittés depuis trente ans, mais qu'il est amené à retrouver au hasard d'une invitation à dîner lâchement acceptée.
Dans le fauteuil à oreilles de Bernhard, meuble-métaphore de la bulle créatrice, Claude Duparfait, comédien au sommet de son art, incarne impeccablement les tensions internes du narrateur et délivre avec une maîtrise ébouriffante cette pièce virtuose et syncrétique, dont il restitue tous les pleins et les déliés, d'une pensée abondante qui mêle souvenir, observation, méditation et exploration biographique critique.
Le dîner "artistique", qui tient du règlement de comptes et met en scènes des archétypes représentatifs par leur bêtise, leur médiocrité, leur suffisance et leur vacuité des pseudo-intellectuels et artistes cabotins que Bernhard qualifie de "onanistes sociaux" - et qui ne sont pas sans résonance avec les "happy few" contemporains - revêt le caractère d'une jubilatoire comédie tragi-comique et satirique.
Mais le compositeur d'avant-garde éthylique (François Loriquet), son épouse, une cantatrice has been (Hélène Schwaller), la romancière obséquieuse (Annie Mercier), et l'acteur cabotin (Fred Ulysse) qui, déjà cannibalisés, par le narrateur entrent dans sa bible de personnages, lui tendent un impitoyable miroir de son propre opportunisme social et artistique.
Ce spectacle, qui bénéficie d'une mise en scène imparable et d'une interprétation de qualité, s'avère une totale réussite hautement recommandée notamment aux néophytes de l'oeuvre de Thomas Bernhard. |