Comédie de Louis Calaferte, mise en scène de Alexandre Laurent, avec Corinne Maisant et Claude Nicol.
"Les veufs", partition à deux voix de Louis Calaferte, est un petit bijou de cocasserie et drôlerie pétri d'humour parfois noir, nourri au lait de l'absurde, écrit d'une plume déliée trempée dans l'encre d'un humanisme non exempt d'une cruelle lucidité.
Dans cette comédie intimiste entre deux étrangers qui se trouvent réunis par une double identité de situation, le veuvage issue d'un mariage mal assorti ne leur ayant pas apporté l'épanouissement personnel espéré, et pour paraphraser Céline, Calaferte met le monde à la portée des caniches.
Il autopsie une conversation de circonstance entre un veuf et une veuve, tous deux petits-bourgeois, faisant "salon" sur un banc de cimetière, conversation introduite par les mérites comparés des sépultures, un caveau de famille situé dans l'allée centrale ensoleillée et une concession temporaire reléguée dans un recoin sombre et humide.
Ce qui donne le ton de la hauteur de vue de l'échange provoqué, alimenté et relancé par l'homme avec l'antienne de "la vie continue", dans laquelle l'évocation du conjoint disparu, loin d'être un regard nostalgique jeté sur le passé et un amour perdu, est un constat parfois acrimonieux sur une vie au bonheur raté et un égocentrique regard introspectif sur le présent.
Et pourtant, entre le veuf un peu geignard en veine de confidences et la veuve à l'oreille compatissante, érigés en archétypes beckettiens, se nouent une interlocution en miroir, tendant parfois au dialogue de sourds, qui brasse les grandes thématiques existentielles.
A propos des dialogues, calqués sur le réel puis décalqués par Louis Calaferte en matériau théâtral, sont ceux du langage quotidien quand il est formulé de manière spontanée, quasi automatique, et de ce fait, révélateur - pour qui lui prête une oreille attentive - autant du caractère que de l'humeur et des affects.
Dans la mise en scène, fidèle au verbe de l'auteur, Alexandre Laurent n'imprime aucun jugement de valeur et ne cède pas à la tentation de forcer le trait vers la caricature. Avec les deux comédiens, il a effectué un remarquable travail de dissection du texte jusqu'à sa moelle ontologique.
Sur toile de fond d'une vue du cimetière du Père Lachaise sous le ciel clair d'un printemps régénérant, Corinne Maisant et Claude Nicol réalisent, par la maîtrise des intonations et du jeu non verbal, une véritable performance sous l'apparente facilité de la mise en bouche du dialogue courant, en donnant à entendre le fil de la pensée qui le sous-tend et en restituant la quintessence des personnages. |