Il va des albums comme des oranges… attirantes rotondités, que l’on presse, que l’on vide, que l’on suce jusqu’à plus soif pour rejeter, lassé, l’amer pelure au caniveau des consommés, des dépassés trépassés. Et puis parfois, pendant plusieurs mois, boulimique, s’acharnant sur un fruit du moment qui ne rend pas les armes, ni avare de sucre ni d’acidité, jamais on ne se lasse, jamais on ne perce le mystère d’une accroche et d’un goût sans cesse renouvelés.
Le dernier opus de R.Wan compte parmi ces fruits rares, oranger sur le sol iroquois. Peau rouge est bleue comme une orange… une de celle qui vous nourrit et qui vous prend ad vitam aeternam… à l’est, au far ouest, à poil, à plume et à l’ancienne. Après deux Radio Cortex mémorables, réussites remarquées qui posaient déjà largement les bases de poésie, de liberté, de rigueur et de dérision chères à l’artiste, R.Wan nous sort le petit joyau de ce début 2012 qu’il ne faut pas louper. Encore plus fouillé, plus assumé, plus poétique, ce Peau Rouge est un bon coup de tomawak dans nos visages pales du moment.
Ce R.Wan est tout à la fois, un rougeaud, un sanguin, un peau-rouge, un germain, un rosbif, un carmin, un redneck… un poète, un vivant, un rappeur, un rockeur, un chanteur, un humain… Rien ne manque dans cet album. L’humour et l’énergie du premier titre "Peau Rouge" place le ton, tandis que le second – "Le CRS mélomane" – emmène guincher manifestement en se tordant les côtes de rire et de coups de matraques. Le tragique dans le comique, la mélodie dans le texte… et vice et versa… et taseur… Il bat le beurre ?
La complémentarité de la mélodie et du texte, la poésie assumée, brute, aux ambiances tantôt aériennes, tantôt souterraines confèrent à certains morceaux – "Maudit sort", "Trois fées" – un style gainsbourien nouveau dans l’œuvre. Mais toujours libre R.wan flâne aussi du côté petit bal du samedi soir avec "La Maffia", Boby Lapointe avec "Julie"… et un petit coup de rock, et un petit rap à la Java…
Et puis un petit bijou, une perle rare qui ne perd jamais de sa superbe, même après 1000 écoutes : "Le Papier d’Arménie". Une ambiance cotonneuse qui berce nos oreilles de pudiques évocations de la mémoire qui se consume, dessinant avec sensibilité, les spirales de fumée d’un génocide dont l’oubli et la négation rajoute au drame. "Une fumée de martyrs, que l’armée nie en bloc…".
Au final, un véritable album à tiroirs, ce Peau Rouge, politique et poétique, beau, bon, brute et truand, Bruant, bruyant… brillant ! On scalperait pour un album comme ça ! |