Réalisé par Alexander Sokourov. Russie. Drame. 2h14. (Sortie 20 juin 2012). Avec Johannes Zeiler, Anton Adansinskiy, Isolda Dychauk et Hanna Schygulla.
Alexander Sokourov, grand créateur de formes, reste plus que tout autre formaliste une énigme qu'aucun film ne pourra jamais résoudre totalement ou même partiellement.
Impossible donc de garantir à ceux qui connaissent mal ou pas du tout l'auteur de "Mère et fils" qu'ils vont saisir la magie de "Faust" ou simplement la décrypter ou en percevoir l'esquisse.
Car Sokourov, au fil du temps et des films, se refuse encore à séduire, à donner une clé évidente, un passe-partout utile à chaque fois qui permettrait de "rentrer" de plain-pied dans son œuvre féconde.
C'est un auteur, un véritable auteur, un auteur qui reste difficile et n'accepte ni compromis ni compromission.
Alors, on va dans ses films au petit bonheur la chance, parfois égaré, parfois conquis, mais jamais indifférent. On est dans l'organique et dans l'instant suivant dans l'onirique. C'est un grand artiste russe, profondément russe même quand les personnages parlent en allemand et sont inspirés du chef d'oeuvre de Goethe.
Une fois l'écran rallumé, il reste en tête des visages et des images. Des visages tristes comme celui de Johannes Zeiler, qui n'est pas un Faust conquérant les apparences mais un homme avide de retrouver la flamme intérieure, celle qui lui permettrait de communier avec l'irradiante Isolda Dychauk qui joue une Margarete radieuse. Des images fortes de viscères ou de paysages volcaniques, de ruelles tortueuses et de forêts profondes, des images envoûtantes et dérangeantes.
Chaque film de Sokourov reste une expérience unique, un voyage au-delà de soi, qui peut réussir comme elle peut échouer. Avec "Faust", il termine une tétralogie où l'on aura côtoyé précédemment Hitler, Lénine et Hiro Hito. Du Nid d'aigle au monde d'après le pacte, Sokourov a-t-il traversé les gouffres et les arcanes du désespoir ? Promet-il, en chantre prophétique, des temps enfin meilleurs ? Y a-t-il une leçon à tirer de magma de mots et d'images ?
L'oeuvre singulière de Sokourov est un hymne à l'imagination, bien loin des labyrinthes factices de David Lynch et tout aussi éloigné des visions infantiles et provocatrices de Lars Von Trier. Pas de frime, pas de pub, pas de polémique. Rien que de l'humain, bien lourd, bien slave, bien sans issue.
Morbide jusqu'au ricanement : du grand art.
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