Réalisé par Jacques Audiard. France. Drame. 1h55. (Sortie 17 mai 2012). Avec Marion Cotillard, Matthias Schoenaerts, Bouli Lanners, Céline Sallette et Corinne Masiero.
Les films de Jacques Audiard se suivent et se ressemblent : encensés par la critique française, incompris par son homologue international et laissant perplexe un public CSP+ à tendance bobo, qui y va par effet de distinction, selon l’expression de Pierre Bourdieu.
Car Audiard est un cinéaste qui traite de sujets de société qui intéressent un public éclairé, espérant les voir exposés autrement que dans les journaux télévisés. On y parle de réinsertion sociale, de marchands de sommeil, de prison qui transforme en fauve un petit gars de banlieue.
Dans "De rouille et d’os", on y évoque la surveillance des caissières de supermarché et la vie des presque précaires.
Mais attention, Audiard n’est jamais dans le vérisme, le naturalisme, le Kenloachisme. Il n’y est pas non plus question de transcendance, de parcours christique belge comme chez les frères Dardenne.
Non, à côté du vérisme, il y a une espèce de fantastique social fantasmé. Ici, Marion Cotillard est un personnage sorti du "Grand Bleu", sauf que les dauphins sont des orques et ont des dents bien cruelles ; ici Matthias Schoenaerts est un boxeur de l’extrême sorti de "Fight Club", version combats de coqs humains dans les terrains vagues et les parkings de supermarchés déserts.
La réunion des deux aboutit à un mélange des genres improbable, qui plaît aux critiques amateurs de récits tarabiscotés, propices à performance d’acteurs et constructions scénariques aléatoires qui rappellent des polars modernes ou post-modernes. Et les autres, qui aiment bêtement que le scénario tienne le coup et ne soit pas fondé sur un artifice qu’il faut accepter sans renâcler et uniquement parce qu’il provient de l’homme au chapeau, ont bien du mal.
Dans "Un prophète", il fallait accepter que le héros inculte apprenne le corse, rentre et sorte de prison comme dans un moulin et soit un petit Machiavel de l’incarcération. Dans "De rouille et d'os", le couple formé par la dresseuse d’orques cul-de-jatte et par le boxeur bestial paraît aussi crédible que l’annonce d’un coup de foudre entre Ségolène Royal et Frank Ribéry.
On est dans "Je t’aime, moignon plus", selon la très fine expression de Xavier Beauvois et l’on plaint Marion Cotillard d’être obligé de payer son Oscar au prix fort de tels rôles. Si l’on reste de glace devant des scènes qui font du film d’Audiard un "Intouchables" hard, si l’on n’aime pas qu’un mélo n’affronte pas le mélo jusqu’au bout, on sera forcément très peu concerné par ce film exhibitionniste qui montre ses muscles et se dégonfle dans le happy end.
Beaucoup moins inspiré comme réalisateur qu’il est coutume de le dire, Audiard est surtout un très bon directeur d’acteurs. Dans "De rouille et d’os", outre Matthias Schoenaerts, magnifiquement enfermé dans son autisme brutal, on retrouve Corinne Masiero aussi convaincante chez Audiard que dans "Louise Wimmer" de Cyrille Menegun.
Il y a donc indéniablement des morceaux de bravoure qui font passer la déperdition consécutive à des scènes complaisantes et faussement audacieuses.
Il faut voir "De rouille et d’os" de Jacques Audiard, en penser ce qu’on en veut et s’amuser, ensuite, à découvrir la quasi unanimité critique.
Tant d’éloges et de superlatifs pour un film plus vain que vivant ne doit pas déstabiliser : il y a sans doute une raison à cet enthousiasme. Et si Jacques Audiard, comme d’autres chouchous des médias en leur temps, faisait tout simplement le cinéma plus littéraire que cinématographique qu’aiment des critiques bien trop souvent plus du côté de la littérature que du 7ème art ? |