Comédie dramatique d'après l'oeuvre éponyme de Pascal Quignard, mise en scène de Cédric Orain, avec Olav Benestvedt et Céline Milliat-Baumgartner, accompagnés par le musicien Nicolas Laferrerie.
Quand débute "Le Chant des Sirènes", on découvre sur scène une chanteuse et un guitariste "rock".
Comme dans bien des spectacles vus cette année, la chanteuse susurre dans un anglais approximatif une chanson dans la mouvance du Velvet Underground ou de sa caricature, une chanson forcément minimaliste, une chanson forcément maniérée.
Résigné, on s'apprête alors à subir une fois de plus un spectacle hybride dans lequel la lecture des textes d'un poète est prétexte à intermèdes musicaux électrifiés plutôt poussifs ou dignes d'un soir de fête de la musique.
Mais, soudain, intervient un grand jeune homme en colère... Lui aussi est très critique, devant ce bruit, devant cette musique d'ascenseur... Ouf ! C'était une fausse piste. Celui qui aurait eu la bonne idée de lire la présentation de son spectacle par Cédric Orain se serait douté qu'il y avait un piège liminaire. En effet, le metteur en scène du "Chant des Sirènes" y proclame que "nous sommes assaillis par une musique qui nous berce et nous agresse".
Un monde où les Sirènes, comme le dit Pascal Quignard, ne sont plus des oiseaux à têtes de femmes, dont les héros antiques devaient se méfier, mais le mot désignant une sonnerie pour voiture de pompier ou d'ambulance.
C'est donc à une réflexion sur la musique, ou plutôt ce qu'on appelait à une époque la "musak", cette musique qui envahit tout et n'enchante personne, que nous convie Cédric Orain avec pour guide en mots et en idées, le poète-romancier-essayiste Pascal Quignard.
Quand on prononce ce nom, s'opère souvent un partage entre pour et contre, entre ceux qui aiment et ceux qui rejettent ce janséniste qui porte une parole incisive et dit en quelques mots des choses que d'aucuns trouvent éclairantes et d'autres communes.
La grande qualité du spectacle de Cédric Orain est de combattre efficacement cet injuste clivage : cette adaptation de "Boutès" et de "Haine de la musique", textes ici regroupés sous l'expression "Le Chant des Sirènes" confortera les défenseurs de Quignard et devrait contribuer à faire changer d'avis beaucoup de ses contempteurs.
Car, ici, Cédric Orain sert les textes de Quignard plus qu'il ne s'en sert. Grâce à Olav Benestvedt et Céline Milliat-Baumgartner, qui s'appliquent à rendre intelligibles les mots de Quignard, on découvre que l'auteur de "Tous les matins du monde" est d'abord un poète. Un poète dans la lignée des poètes latins, comme Lucrèce ou Ovide.
Dans une mise en scène d'une grande limpidité, enrichie par de beaux effets de lumière de Bertrand Couderc, on comprendra parfaitement la pensée de Quignard et l'on appréciera sa subtilité et ses fulgurances.
Paradoxe -mais Quignard n'est-il pas lui-même un paradoxe ? -, les interventions musicales de Nicolas Laferrerrie contribuent aussi à éclairer ce chant des Sirènes qui s'en prend à la musique, à la fausse musique.
Reste la vraie, celle que pratique silencieusement Quignard et celle qui prend la forme du théâtre dans le spectacle de Cédric Orain.
Il faut souhaiter qu'après ce Festival "On n'arrête pas le théâtre", "Le Chant des Sirènes" pourra résonner bientôt sur d'autres scènes. |