Monologue dramatique écrit par Annick Le Goff et Coralie Seyrig, interprété par Coralie Seyrig dans une mise en scène de Christiane Dejoux.
Louise de Vilmorin... L'égérie d'André Malraux, l'amie de Cocteau, la maîtresse de Gallimard, l'amante de Lady Cooper, la condifente de Saint-Exupéry, l'écrivain qui s'adonnait au roman, sans aimer ce genre, l'anti-Beauvoir, la pas féministe pour deux sous, la femme qui attend, qui admire, qui aime et qui écrit faute de peindre assez bien, qui était-elle ?
Dans un des plus longs "Seul-en-scène" de l'Histoire, Coralie Seyrig, qui porte le nom d'une grande comédienne, certes, mais qui ne copie rien, réinvente cette mondaine extra-terrestre, cette femme de sens et de coeur, cette égoïste qui attend qu'on la sorte d'elle-même (l'homme est fait pour ça ou à quoi bon ?) avec une élégance détachée, fume sans qu'aucune mauvaise gorge n'ose tousser, joue du piano désaccordé en méprisant les notes, convoque les disparus ou leur rend leur mystère.
C'est interminable et l'on supplie qu'elle ne s'arrête pas.
Cette femme est divine à tel point que l'on se demande si l'on ne serait pas déçu de croiser le fantôme de la Vilmorin, boitillant au sortir d'un buisson (de Verrières, bien sûr). La voix est envoutante, les yeux supplient et rejettent, la bouche murmure et dit "non" ou pire : "peut-être".
Les chers disparus, mari des Carpathes, ambassadeur anglais, ses frères et leur vivier de camarades, petits fiancés potentiels, tous défilent, entre deux verres (de cristal) et l'enfance, ce pays de banni, renvoie ses sortilèges, bouffées d'odeurs, de goûts. Elle retrouve des fraises, comme Marcel ses madeleines, et alors, elle se souvient qu'elle était heureuse en Bohème, auprès d'un époux fixé uniquement sur les photographies.
Car Madame de...pratique la nostalgie comme une religion. Tout ce qui est exquis est passé et le présent, sans force, n'attend que d'être mis en cave et de vieillir.
Pendant cette confidence de nuit - l'heure du spectacle n'est pas innocente - Coralie joue, pleinement elle-même, d'une classe qui exécute, au silencieux, sans pitié, ni cruauté, si vulgaire.
La mise en espace de Christine Dejoux est habile, aérienne, libératoire. Spectacle élégant, presque incongru, "maximaliste" (enfin!) par la richesse de son propos, "Madame de...Vilmorin" fascine, bouleverse, à l'image d'une comédienne rare, Coralie Syrig.
"L'humain est admirable". |