Il fallait bien 15 jours pour digérer cette édition 2012 de l’une des plus grosses machineries festivalières Européennes. Le menu était en effet copieux, parfois un peu riche et dégoulinant, mais aussi surprenant voire bluffant par instants. Bref, de la cuisine pour tous les goûts mais malheureusement pas pour toutes les bourses : tendance forte de 2012, la désertion massive des locaux durement touchés par la crise économique, qui ont d’autres priorités plus terre à terre (quelques statistiques effarantes : 70% de festivaliers en provenance du Royaume Uni, 27% de citoyens Espagnols et 3% du reste du monde (sic !)).
C’est donc un site colonisé plus que jamais par la jeunesse Anglaise que je découvre à mon arrivée, le jeudi en milieu d’après-midi, sous la traditionnelle chaleur accablante de la charmante station balnéaire de Benicàssim. Pas le temps de flâner, le précieux sésame "Presse" est récupéré en un temps record (organisation rugueuse mais toujours impeccable) et il faut maintenant se faire une place parmi les 20 000 campeurs qui se dorent (crament serait plus approprié) la pilule et n’oublient pas de s’hydrater abondamment depuis le début de la semaine (autant dire que le cours du houblon a dû grimper en flèche pendant quelques jours).
La tente 2s rejoint rapidement ses copines sous un coin de toile tendue, censé protéger un peu de l’agression solaire matinale. L’endroit est stratégiquement idéal à proximité des douches, des toilettes et à distance raisonnable des Barnums Anglais, synonymes de nuits difficiles et braillardes ("I am from Fucking Manchester" étant l’un des gimmicks de l’édition 2012).
Après une bonne douche froide revigorante, c’est le pas léger que je me dirige vers "el recinto", l’enceinte immense qui accueillera groupes et amateurs de musique Pop, Rock & Electro durant quatre nuits. Petit tour d’horizon des nouveautés : pas mal de stands alimentaires ont été relégués près de l’entrée, ce qui aura pour avantage d’étirer un peu la foule, deux gros manèges à sensation sont toujours présents, en position centrale à proximité des trois scènes Maravillas, Trident Senses (il faut bien vivre…) et Fib Club. Un peu en retrait le chapiteau "Jack Daniel’s" (dont on peut légitimement remettre en cause l’intérêt) abrite désormais toute la nuit des Djs en lieu et place des petits groupes sympathiques de l’édition précédente.
Le site est toujours très aéré, mélange de béton, de coins de verdure (disons d’herbe sèche) et de stands divers et variés ; l’affluence moyenne permet une circulation relativement fluide ce qui n’est pas pour me déplaire.
Là encore, la crise n’a pas frappé que les festivaliers et on sent bien, d’une année sur l’autre, que le budget est sous contrôle : un écran de moins par ci, une scène dépouillée par là, un programme très light en vente à un prix prohibitif que la décence m’enjoint de taire et surtout des bars tous les 30m… L’aspect mercantile devient un peu dérangeant mais les festivals sont malheureusement en mode survie un peu partout en Europe.
Rentrons dans le vif du sujet et parlons de la programmation : traditionnellement, la soirée d’ouverture du jeudi est un tour de chauffe et cette édition ne semble pas déroger à la règle. Quelques grands noms côtoient une flopée de jeunes pousses mais l’annulation tardive (et donc non remplacée) de la diva pop Florence & The Machine (à trop tirer sur la corde vocale, il fallait s’y attendre) déséquilibre un peu l’ensemble. Pour couronner le tout (et limiter les frais), le FIB Club est fermé pour la soirée et ce sont donc les deux autres scènes qui se partageront les groupes à forte dominante US et Anglo-saxonne.
Pas de grosses attentes de mon côté, et c’est donc l’esprit curieux que j’assiste à la prestation des Espagnols de TUYA, chargés d’ouvrir les hostilités. Leur folk est sympathique mais ne passionne pas un public très clairsemé et c’est avec le sentiment du devoir accompli que le quartet se retire après trente minutes d’une prestation tranquille.
Je me dirige vers la grande scène pour jeter une oreille à l’ovni Los Tiki Phantoms : 4 musiciens grimés en squelettes qui jouent un Rock 60’s instrumental pas désagréable avec énergie et surtout beaucoup d’humour. La formule reste limitée et si on l’adorait quand les Pixies s’y essayaient le temps d’un morceau, c’est un peu lourdingue sur la longueur… Leur laborieuse tentative de faire slammer deux filles innocentes sur des matelas gonflables est vouée à l’échec, vu la faible audience et c’est à l’amorce d’une chenille des familles que je préfère quitter (à la queue leu leu) la kermesse pour me diriger vers Trident Senses (ah ce perpétuel yoyo d’une scène à l’autre…).
Les années passent et se ressemblent… même endroit, même heure, The Joy Formidable avait enflammé le public avec leur rock débridé en 2011 ; avec une énergie semblable, les américains de Zola Jesus reprennent le flambeau et en l’absence de Florence & The Machine, la chanteuse Nika Roza Danilova postule sans complexe au titre de prestation vocale de la soirée (comment un si petit corps peut-il abriter autant de coffre ?). La demoiselle délurée affole la sécurité (et le public) en s’offrant une ballade prolongée sur le bitume, entourée d’une nuée de téléphones portables filmant la scène (technologie quand tu nous tiens).
Le concept violon (pour une fois très bien mis en valeur par la balance, c’est à souligner) / batterie / synthé manque tout de même de guitares et les morceaux sont assez inégaux ; le sublime "Vessel" vient clôturer le show. Pas à dire, on monte en puissance.
C’est au tour de Lisa Hannigan d’investir la scène sponsorisée par un fabricant de gomme à mâcher (on y reviendra plus loin) ; l’Irlandaise s’illustre dans un registre Folk imparable et va illuminer sous le soleil couchant ce début de soirée par sa simplicité et sa joie manifeste d’être présente sur ce festival. C’est un régal, sa voix rauque s’accordant à merveille au défilé d’instruments divers et variés (banjo, accordéon, un sublime harmonium, trompette) reproduisant les meilleurs morceaux de son album Passenger ; on revit les belles émotions ressenties ici même lors des concerts de Beirut ou Calexico dont les univers ne sont pas si éloignés. Il serait injuste de ne pas mentionner son groupe qui bâtit discrètement et par petites touches, cette atmosphère unique. Un très bon moment dont il est difficile de ne pas ressortir le sourire aux lèvres.
Le temps d’avaler un sandwich, je me retrouve sans le vouloir spectateur/acteur de la promotion Live du sponsor à mâchouiller : une grande bâche entoure une zone accessible uniquement par une espèce de sas ressemblant à un distributeur de boisson. Lorsqu’un spectateur curieux appuie sur le bouton, la porte s’ouvre et laisse passer un guitariste, puis un batteur, un accordéoniste, un immense cor, une chanteuse, se mêlant à la foule avant de se lancer dans une reprise très gipsy du "Baby One More Time" de Britney Spears… le tout dans une ambiance très festive. Une grue supporte un ballon de baudruche géant rempli de confettis et autres confiseries, qui se gonfle au rythme des tweets reçus et diffusés en temps réel sur un écran plat. Du grand n’importe quoi mais qui a le mérite de dérider l’assemblée, hystérique au moment de l’explosion de la "pinata"…
Après cet instant de bonne humeur sponsorisée, je me dirige à grand pas vers la scène Maravillas pour un grand écart musical : c’est en effet l’heure du garage sombre de The Horrors. Le groupe m’avait énormément déçu lors d’un passage à Toulouse : une imitation de Ian Curtis poussée à l’extrême, trop de manières, ça sonnait faux.
Puis, Faris Badwan s’était assagi lors de son échappée surprenante mais plutôt réussie avec le groupe Cat’s Eyes. J’étais donc impatient de voir la mouture 2012, auréolée du succès critique de Skying et on peut dire que j’ai été réconcilié avec la bande ! Un concert sobre, tendu, un son terrifiant, une batterie profonde à faire dresser les poils et une voix caverneuse à souhait. Pas de doute, ils sont en état de grâce. Le choix des morceaux est judicieux, reprenant le meilleur de leurs trois albums. Même le bassiste sautillant qui m’avait tant agacé, la prestation un peu courte ou le fond de scène flirtant de manière éhontée avec le "Unknown Pleasures" de Joy Division ne parviennent pas à gâcher l’instant. Le final est psychédélique, comme il se doit et c’est sous un déluge de décibels que le groupe tire sa révérence et clôture ce qui restera comme un des grands moments du festival.
Difficile d’enchaîner… je passe donc très rapidement sur la prestation assoupissante du mégalo Kurt Vile et ses Violators pour repartir très vite assister au retour des Texans de At The Drive-In. Leur rock épique réveillerait les morts mais je dois dire que je commence à être rattrapé par les heures de route et je sombre rapidement (et un peu honteusement) dans un demi sommeil. Ils sont pourtant très efficaces et ça envoie du lourd mais rien à faire, les morceaux défilent et je ne connais pas assez leur discographie pour m’y raccrocher. Le tout manque un peu d’âme et le concert s’achève sans un mot ; ça sent un peu la tournée tirelire.
Je me précipite à l’autre bout du site pour me rendre compte que le concert de Bat for Lashes est annulé (une sombre histoire de malchance et de bus tombé en panne), remplacé au pied levé par les Anglais de China Rats. Le coup est rude et j’ai un peu de mal à me remettre de la déception, malgré leur surf music enjouée.
J’erre donc dans les allées, comme une âme en peine, me convainquant définitivement que je ne suis pas fan de De La Soul, que l’électro de Yuksek est plaisante (mais j’en ai un peu marre que la France ne soit reconnue en Espagne que pour sa techno) et que je n’ai pas envie de lever les bras avec les MC de Example qui haranguent la foule sans relâche.
Non, pas de doute, il est temps d’aller se coucher, tout en se disant qu’on commence à vieillir, c’est indéniable ! Mon agacement devant les beats matraqués jusqu’à 7h du matin et les beuglements de mes voisins Belges et Anglais ne feront qu’appuyer ce triste constat… |