Après avoir déjeuné copieusement dans une petite gargote réconfortante - "Le Rimbaud", sans rire, nous sommes cernés –, une petite sieste post-prandiale s'imposa sur le site du festival, qui semble au ralenti – il est 14h30 –, comme étouffé par cette chaleur lourde, très lourde, qui fait voler les hirondelles bas, très bas – et c'est mauvais signe, et vous le savez. Nous fûmes néanmoins gentiment bercés par les beats apaisants d'High Tone – et rien que pour cela, remercions de tout cœur monsieur le régisseur son. Hop, dix groupes nous attendent.
Temple
Un groupe de métal pour inaugurer ce deuxième jour de festival et secouer ses esgourdes encore un peu engourdies ? Excellent choix. Temple, à l'origine influencé par Limp Bizkit et Rage Against The Machine, se tient, en réalité, en équilibre sur le fil de deux genres a priori inconciliables, le rap et le métal. Que les curieux aillent écouter leur album Serrez les rangs, serrez les dents... Loin d'effrayer, le mélange intéresse et cette "cuisine" de funambule, en live, est plutôt savoureuse : les textes sont en français, agressifs, engagés, habilement proférés par un frontman surexcité, et dont il faut ici saluer la présence scénique, la guitare est nerveuse, la basse tendue, la double-pédale enragée. Les pieds farouchement fichés sur les enceintes retours, les musiciens de Temple c'est aussi une complicité indéniable – et ça, on aime –, et un plaisir scénique décomplexé et sincère. Une belle entrée en matière, donc, et une découverte réussie.
Toots and The Maytals
Qu'importe que l'on soit difficilement sensible à la vibe "reggae", la prestation des Toots and The Maytals restera malgré tout dans les mémoires. Frédérick "Toots" Hibbert, à peine monté sur scène, fait autorité, moulé dans un cuir un peu trop grand pour lui, et caché derrière d'insondables lunettes noires. Le live, tenu par ces papys du rocksteady, et entraîné par deux sombres belles plantes au choeur, tient tout à fait la route – hormis l'absence cruelle de cuivres, et une reprise peu concluante de "Louie Louie". Sous un soleil de plomb salutaire, au milieu de ces corps ondulants sur les vibrations sereines d'un groupe légendaire, oui, j'eus envie de crier, si la décence ne m'avait pas étranglée juste avant : "Big up !"
Most Agadn't
Ne tergiversons pas : Most Agadn't est LE groupe découverte de ces deux jours. Elle, derrière son clavier, vaporeuse, sulfureuse, mi-réservée, mi-déjantée, lui, derrière sa batterie, tout sourire, élastique, diabolique. Le duo distille avec un plaisir non feint tantôt une new wave emballante, neuve, tantôt une pop racée, installe en un rien de temps et sans complexe une ambiance unique, faite de douceur maîtrisée et de personnalités résolues. Un gros coup de cœur, pour moi, et un groupe à suivre de très près par Froggy's...
The Dandy Warhols
Musicalement, rien à dire, bien au contraire. On aime, et on aime beaucoup. Les Dandy Warhols resteront dans nos favoris quoi qu'il arrive. Mais, malheureusement, pour avoir vu aux Eurockéennes leurs amis-ennemis éternels, The Brian Jonestown Massacre, avouons que ce sont ces derniers qui remportent, plutôt haut la main, la palme scénique. Pour être honnête, je crois n'avoir jamais vu de ma vie, avec The Dandy Warhols, un set aussi statique, et des musiciens aussi imperméables – merci, quand même, à Zia McCabe, de lever parfois le nez de son clavier, et de sourire plus qu'à la cantonade... Chacun dans son coin, derrière son/ses micro(s), derrière sa guitare, derrière sa batterie, le tout dans une ambiance plutôt morne, presque bizarre qui tend à faire croire – mais comment est-ce possible pour une formation qui tourne depuis vingt ans ? – à un manque de complicité entre les membres du groupe. La réelle déception du jour.
La Femme
Il y a des groupes qu'on aurait besoin de voir deux fois avant de réellement réussir à se faire une idée sinon juste du moins plus précise de leur univers. La Femme, donc, produit sur moi une petite perturbation axiologique – certes fortement élémentaire : j'aime, j'aime pas ? J'aime, oui, et avant tout, l'originalité de leur formation, et l'inévitable disposition scénique qu'elle engendre – des synthé partout, ou presque, dans une logique "pop synthétique" intéressante. De la même façon, on trouve chez les musiciens un côté touche-à-tout plaisant et plutôt bien exploité. Je n'aime pas, non, par contre, le côté faussement décalé de textes plutôt décevants – à mon avis, un talon d'Achille à cacher ou à panser. Mon doute porte donc, in fine, sur l'univers déployé par La Femme : des potentialités, indéniablement, appréciées par le public, sans aucun doute, mais des influences parfois un peu trop perceptibles. La Femme, une griffe musicale à acérer...
[Intermède : Et Dieu, ou une puissance céleste équivalente, décide, à ce moment précis, que le firmament tourmenté des Ardennes se perce, s'ouvre, et s'abandonne dans un déluge torrentiel transformant les festivaliers du Cabaret Vert en de petits insectes centrifuges, tantôt se dissimulant sous des tables, tantôt s'imprégnant sans scrupules de cette débauche diluvienne, tantôt se rapprochant dangereusement sous de fragiles parapluies, les uns sautant dans les flaques, les autres criant au loup et au blasphème en louchant sur leur bière que l'eau délave. Bref, à ce moment précis, il plut.]
Public Enemy
Un live de Public Enemy ? Un bon vieux gros show à l'américaine comme on les aime tant. On chauffe le public, on sillonne sans cesse la scène micro planté devant la bouche, on lève les bras, on saute en l'air, on crache son fiel et son hip-hop avec une rage réelle, on se fout de l'orage et de la pluie, on fait comprendre qu'on est un mythe, et que ça ne va pas se passer comme ça. D'un point de vue scénique, ça nous rappelle Cypress Hill, genre monstres sacrés à qui on ne la fait plus. Et puis, aléas merveilleux du direct et du hasard, je n'oublierai jamais ce petit jeu sympa entre moi et Flavor Flav, qui décida, au cours du set, de jouer les stars photogéniques devant mon capteur enjoué...
The Bots
Entre les groupies sur les bords du plateau qui préféreraient tuer leur mère plutôt que de lâcher leur I-Phone en mode vidéo, et un manager "nounou" qui fait irruption sur scène entre chaque morceau pour susurrer quelques conseils "comm'" à son petit protégé à la batterie, le live de The Bots commence un peu comme un concert organisé par feu L'Ecole des fans. Mais vite, la qualité technique des deux loupiots – 15 et 17 ans, s'il vous plaît – prend vite le pas sur ces petites contrariétés. Du coup, il semblerait que les deux frangins surclassent très très rapidement la mollesse du concert des Dandy Warhols et réinjectent en deux temps trois mouvements un esprit rock en bonne et due forme. On lance des t-shirts à l'effigie du groupe, on sourit, on dit merci, on avance que la France est formidable, mais, à part ça, on envoie du bois, du lourd, du prometteur, et c'est surtout cela qu'il faut retenir. Et le final... Quel final. Mikaiah Lei, le guitariste, décide de slamer, garde son micro, est emmené loin, loin de la scène, perd – logiquement – son micro, revient sur la scène, sans son micro, retrouve – logiquement – son micro, mais... ce dernier ne fonctionne plus. Pendant ce temps, Anaiah Lei, le batteur, fait de même : slame, part loin, loin. Revient sur scène. Mais, là, c'est la guitare à présent qui ne marche plus. Il reste dix minutes de set à assurer... Comment faire ? Rester sur scène, sourire, re-slamer, profiter... Une fin rock'n'roll, donc, qu'on espère pas calculée, par certains côtés drôlissime, mais tellement réjouissante, rafraîchissante, qu'on ne peut que souhaiter un superbe avenir à ces deux petits prodiges du punk rock.
Birdy Nam Nam
Voir un live de Birdy Nam Nam, c'est avant tout profiter d'un son et lumière à couper le souffle. D'innombrables strobos multicolores caressent la foule – modèle "Atomic 3000 Color" me souffle-t-on à l'oreille –, et un son hyper propre l'envoûte – malgré une enceinte d'aigus grillée, et une reprise insensée d’"Abesses". Dans la mesure où Defiant Order, leur dernier album, propose un son bien plus personnel, avec des compositions aux petits oignons, le live des Birdy Nam Nam n'en est que plus riche, alternant entre gros "tubes" et track plus intimiste... Le pied.
Joey Starr
Le problème de Joey Starr serait-il son public ? On sait que sans lui, l'artiste ne peut rien, mais là, il fut quand même (très) difficile de faire avec – penchant plus du côté "lascar" NTM que du côté "bobo" de Polisse... Pour résumer, avant l'entrée en scène de ce que je considère comme un mythe, envers et contre tout : ambiance survoltée, nerfs à fleur de peau, bastons en continu, nuage épais de substances illicites et psychotropes, mecs de la sécurité aux aguets, nerveux devant un public injurieux, agressif, violent. Au-delà de ça, le set est à tomber : d'abord, on apprécie la présence d'un line up riche – DJ mais aussi bassiste, guitariste, batteur –, ensuite, on savoure particulièrement les textes d’"Egomaniac", enfin, on reste fascinés par la présence phénoménale du Jaguarr, habilement complété par un Nathy Boss malgré tout un peu perché ce soir-là. Oui, on peut ne pas aimer le hip-hop, mais là, ce concert était à ne pas rater...
Skrillex
On aimerait faire un hommage à Skrillex, à sa percée fulgurante, à sa notoriété démesurée – n'oublions pas que ce jeune homme a déjà collaboré avec Lady Gaga ou encore The Black Eyed Peas. Mais le faux départ de son set nous en empêche : le compte à rebours – cinq, quatre, trois, deux, un –, en effet, fit flop. Un petit rire, immanquablement, nous échappe. Raté. Eh puis, la dimension passablement mégalo-maniaque de la disposition scénique – petit jeune homme chevelu, sautillant, planqué derrière ses grosses lunettes et un énorme screen à LED où défilent des animés – nous scotche un peu, à vrai dire. Les canons à fumée, phalliques à souhait, font le reste. Cependant, et pour en finir avec le sarcasme facile, l'effet "house" de son électro fonctionne à merveille, reconnaissons-le, et l'on fut presque tentée de vouloir retrouver sa jeunesse et de brûler le dancefloor herbeux du Cabaret vert, parmi les milliers de festivaliers... en transe. |