Comédie dramatique de Ödön von Horvath et Lukas Kristl, mise en scène de Christoph Marthaler, avec Jean Pierre Cornu, Olivia Grigolli, Irm Hermann, Ueli Jäggi, Josef Ostendorf, Sasha Rau, Clemens Sienknecht, Bettina Stucky, Ulrich Voß et Thomas Wodianka.
Pour l'ouverture de saison du Théâtre National de l'Odéon, alors que sévit 1h45 d'ennui dans la salle de la place de l'Odéon avec "Les beaux jours d'Aranjuez" de Peter Handke mis en scène par le nouveau maître des lieux Luc Bondy, règnent 3 heures de bonheur aux Ateliers Berthier avec "Foi, Amour, Espérance" mis en scène par Christoph Marthaler qui fait également l’ouverture de la 41ème édition du Festival d’Automne
Christoph Marthaler est un metteur en scène suisse, la Suisse ce pays du bonbon Ricola et du secret bancaire, de la soupe au lait et de Guillaume Tell, de Zouc et de Plonk et Replonk. "Je suis Suisse, on n’y peut rien changer" dit-il de lui-même, ce qui laisse déjà présumer de son humour.
Et de l'humour, loufoque et néanmoins tragique, il y en a dans sa mise en scène magistrale de l'opus du dramaturge austro-hongrois Ödön von Horvath qui, avec "Casimir et Caroline",
constituaient "deux petits drames tirés de la vie du peuple", 'un conte tragique qui ne pourrait être qu'un larmoyant mélodrame naturaliste.
Ce "petit" drame est celui de la misère ordinaire, celle d'Elisabeth, une jeune fille qui, pendant la récession économique des années 1930, sans argent et sans travail, est, malgré son courage et son obstination, broyée non seulement par une société bureaucratique de l'ère des républiques démocratiques socialistes, sexiste et injuste dirigée par des hommes veules et corrompus mais également par la violence et l'indifférence ordinaire des individus.
Optant pour le registre du burlesque et de la tragi-comédie, Christoph Marthaler opte pour un traitement qui, loin de montrer cette violence à l'état brut et démonstratif, la fait suinter des comportements policés dans une atmosphère ouatée qui alterne entre le côté bon enfant et le bâton.
Dans un décor unique de Anna Viebrock, la façade d'un laboratoire d'anatomie qui ressemble à un décor de studio de cinéma, avec une pendule digitale qui décompte le temps de manière folle et erratique, un temps s'est détraqué et dilaté pour démonter et montrer une mécanique inexorable qui prend des allures de ballet aussi absurde que tragique menés par des clowns, des clowns qui tuent.
Musicien et comédien formé à Ecole internationale de théâtre Jacques Lecoq, Christoph Marthaler brasse musique et théâtre et dirige des comédiens époustouflants qui maîtrisent totalement la mécanique du corps et le non verbal.
Il y a donc la musique et le théâtre, la fosse d'orchestre et la scène. Dans la première, un orchestre inattendu, des chaises vintage sur le siège desquelles sont posés, face à de pupitres, des enceintes et amplis disparates qui émettent des sons divers à l'instar des musiciens accordant leur instrument, un piano et un podium inachevé en béton.
Sur cet orchestre fantôme et cacophonique règne l'orchestre règne un homme inquiétant au visage de masque et au comportement pour le moins étrange, parfois atteint d'accès de folie musicale (Clemens Sienknecht) qui va dispenser la bande-son de l'opus théâtral qui fait le grand écart entre la "Marche funèbre" de Chopin et "Blue eyes" de Elton John.
Sur le plateau, tout commence de manière désopilante avec une scène digne des films muets : un ouvrier, pas très courageux et déjà fatigué, (Thomas Wadianka), muni d'une immense échelle vient réparer l'enseigne du bâtiment. Il monte et descend à plusieurs reprises et le spectateur attend qu'il rate une marche, ce qui arrive immanquablement. Puis, le pseudo chef d'orchestre prononce un édifiant discours de clôture de congrès international sur la traite des jeunes filles. La tragédie est nouée.
Les comédiens excellent à camper des personnages archétypaux pathétiques, à la limite du grotesque qui n'hésitent pas à chanter en choeur, à défaut de coeur sensible, la sérénade des bons camarades : Josef Ostendorf (le juge, l'inspecteur de police, le préparateur de l'institut), Ulrich Voß (le baron), Jean Pierre Cornu
(le préparateur en second),
Ueli Jäggi (le fiancé agent de police), Bettina Stucky (Madame Prantel) et
Irm Hermann (la femme du juge).
Quant à Olivia Grigolli et Sasha Rau, elles donnent au personnage d'Elisabeth, personnage en l'occurrence dupliqué pour en souligner la non unicité de la figure, une belle incarnation.
|