Comédie dramatique de Christophe Pellet, mise en scène de Jacques Lassalle, avec
Marianne Basler, Annick Le Goff, Sophie Tellier, Tania Torrens, Julien Bal, Bernard Bloch et Brice Hillairet.
On sait tout ce que le cinéma doit au théâtre. Depuis quelque temps avec, par exemple, le succès de l’adaptation théâtrale des "39 marches" ou la mise en espace des "Conversations Hitchcock-Truffaut", on a l’impression que c’est au tour du théâtre de s’inspirer du cinéma.
"Loin de Corpus Christi" franchit un pas de plus puisque la pièce de Christophe Pellet a pour thèmes principaux et entrelacés la cinéphilie, Hollywood et le Maccarthysme.
Une jeune femme, perdue dans l’amour du cinéma, tombe amoureuse d’une image : celle d’un jeune acteur américain de l’après-guerre, Richard Hart, qui n’a fait que quatre films avant de s’évanouir "mystérieusement".
Au terme de son enquête, entremêlée de scènes de l’époque de Hart, de passages dans le Berlin-Est au temps de la RDA, on en saura plus sur ce personnage énigmatique et le rôle qu’il aura joué dans le départ forcé de Bertolt Brecht et de ses amis d’Hollywood.
Dans sa première partie, plus cinématographique, "Loin de Corpus Christi" suit principalement Anne Wittgenstein, la cinéphile, dans sa quête d’un visage perdu du 7e art, dans la seconde, plus théâtrale, elle se concentre sur Norma Westmore, femme influente dans un grand studio hollywoodien, dénoncée comme communiste et accompagnant son ami Brecht dans son nouvel exil allemand.
Pour rendre clair le travail fragmenté de Christophe Pellet, lui donner un rythme cinématographique, Jacques Lassalle s’appuie sur une scénographie astucieuse de Catherine Ranki : quelques rangées de fauteuil de velours font face à un écran cinéma. Autour d’elles est figurée la façade d’un temple, à l’image de ces palaces cinématographiques de l’âge d’or hollywoodien. Sur le chapiteau du temple, apparaissent des lettres tapées à la machine, indiquant où l’action de la scène se passe.
Ainsi, la chronologie n’est pas forcément respectée sans que le spectateur s’y perde. C’est aussi la matérialisation de ce qu’est finalement "Loin de Corpus Christi" : un scénario d’un film qu’aurait pu écrire Brecht, cigare au bec, en tapant sur son Underwood quand il n’était plus qu’un salarié de l’usine à rêves. Un film qui aurait raconté le vingtième siècle comme le siècle de l’exil permanent pour des êtres confrontés aux polices de la pensée.
On soulignera la performance de Bernard Bloch qui compose à la fois un savoureux Brecht et un émouvant érudit du 7èmè art. Tout le "casting" est d’ailleurs épatant, avec une inoubliable Marianne Basler passant sans se forcer de la jeune idéaliste, amoureuse et fougueuse à la vieille femme meurtrie par l’Histoire des hommes mais toujours déterminée dans ses choix de vie.
Reste pour la vérité, et l’honneur du pauvre Richard Hart, aux cinéphiles, qui n’ont pas oublié son beau visage dans le mythique "The Green Dolphin Street", à faire ce que ne fait pas faire Christophe Pellet à Anne Wittgenstein : ouvrir le "Halliwell", le célèbre dictionnaire du cinéma américain. Ils y découvriront aussitôt que l’acteur est mort à 36 ans. Il n’est donc pas le délateur décrit dans "Loin de Corpus Christi". Dont acte. |