Monologue dramatique de de Tarjei Vesaas, mise en scène de Claude Régy, avec Yann Boudaud, Olivier Bonnefoy et Nichan Moumdjian.
C'est sous le signe du silence et de la pénombre, dont l'union crée aussitôt l'ambiance qui va régner pendant le spectacle, que l'on pénètre dans la petite salle des Ateliers Berthier.
D'emblée, les choses sont ainsi limpides : "La barque le soir" n'est pas là pour emporter les spectateurs vers un lieu de villégiature mais pour les conduire, tétanisés et oppressés, vers l'ultime destination que chacun devra tôt ou tard rejoindre.
Pour y guider les volontaires du jour, Claude Régy a choisi un texte d'un grand écrivain norvégien, Tarjei Vesaas, traduit superbement par Régis Boyer.
Comme son contemporain Alain Resnais le fait en ce moment au cinéma avec " Vous n'avez encore rien vu" , Claude Régy examine avec lucidité cette mort qui se rapproche et cherche une fois encore à en comprendre l'essence.
Seul sur l'avant-scène, un homme en noir, à la gestuelle lente et parfois emphatique, transforme son visage en masque d'effroi effaré. Devant le rideau noir qui ne s'ouvrira jamais, et sur lequel s'inscriront fugacement quelques formes projetées, il parle en décomposant les mots à l'extrême, comme pour retarder l'issue de son récit qu'il pressent fatale.
C'est une longue dérive d'une "barque silencieuse", pour reprendre la formule de Pascal Quignard ; la lente et inexorable dérive d'un corps dans les eaux du Styx.
Pour ce voyage au bout de la dernière nuit, Claude Régy s'appuie sur la scénographie austère de Sallahdyn Khatar, sur les savantes variations de lumière de Rémi Godfroy, ainsi que sur les quelques éléments sonores distillés par Philippe Cachia.
Au cœur de ce climat mortifère, de ce combat perdu d'avance contre le silence infini, il y a surtout la présence étrangement douloureuse de Yann Boudaud, acteur qui sait insuffler du mystère à son cheminement prévisible.
Car ce qu'on attend survient, mais Claude Régy sait transformer l'attendu en moment de grâce théâtrale.
Une leçon de mise en scène pour comprendre un peu mieux ce que mourir veut peut-être dire... |