Monologue dramatique de Samuel Beckett dit par Serge Merlin dans une mise en scène de Alain Françon.
Monter Beckett et abandonner la terre ferme, la barque au milieu du brouillard. Alain Françon a choisi une pièce de quinquagénaire, "La dernière bande", alors que le succès venait de toucher - enfin - Samuel Beckett, l'Irlandais qui écrivait en français, quelques années plus tôt.
Un vieil homme à sa table de travail. C'est un écrivain. Il écrit contre le monde, avec le silence comme seul allié et témoin sadique. Une faible lumière l'éclaire, un oeil.
Peut-être à court d'inspiration, il branche un vieux magnétophone et écoute pérorer un homme plus jeune, à possibilités, qui ne prévoit pas le gâchis et la faillite: lui-même. Ulcéré par ce "crétinisme" qui est le sien, il retrouve une vigueur désespérée et une hargne de non-résigné qui brave la mort.
Ce texte bouleversant, viscéral, touche, à l'os, le travail de la création érodé par le temps qui passe, les trahisons qui se tranforment en solitude dès qu'on les enregistre, et l'aveuglement de la santé, ce temps où l'on se croit éternel et peut-être oublié par la Mort.
Pour incarner ce vieux magicien désenchanté, Alain Françon a choisi Serge Merlin, interpréte à répétition des univers de Thomas Bernhard et de Beckett, immense comédien creusé à l'intérieur de sa roche, observateur d'abîme fascinant, que l'on imagine au travail, dans une même chambre obscure, près de Beckett dans un fauteuil ou dans son livre, interrogé et rendu à la vie.
Les lumières de Joël Hourbeigt éclairent cette grotte mystérieuse, Alain Françon a réglé les pas du chercheur, qui fouille ses armoires, sa mémoire, à la recherche de l'indignation, qu'il trouvera.
Le public contemporain, dévoré par sa technique embarquée, ses portables abjects qui dévorent son temps et blessent sa rêverie, peut-il encore fixer son attention sur l'inaudible, le chuchoté et supporter enfin un cri humain authentique ? Oui, peut-être a t-il plus que jamais besoin de libération et de tables renversées, de fils arrachés et de vrai propos.
Le feu de Beckett, attisé par Alain Françon, prend et crépite. Il fait bon l'écouter. |