Performance poétique de Allan Ginsberg, mise en scène de Bérangère Jannelle, avec Douglas Rand et Jean-Damien Ratel.
Avec "66 Gallery - Howl" la Maison de la Poésie porte bien son nom car en trente secondes chrono, le spectateur sera emporté dans le tourbillon de la tornade poétique créée le 7 octobre 1955 par Allen Ginsberg à la Six Gallery de San Francisco.
Et pour cela, il lui suffira de suivre la jeune fille qui emmène le petit groupe d'amateurs de poésie beatnik par un chemin détourné, orné de symboles "ginsbergiens" de la beat generation, pour atteindre la cave voûtée dite "petite salle". Une salle qui le transporte illico dans un lieu qu'aurait pu investir les poètes d'avant-garde californiens ou leurs homologues new-yorkais en plein Greenwich Village.
Le voilà assis les jambes en tailleur sur un coussin posé sur du vrai gazon alors que sur la pierre blanche des murs est projeté des images du poète lui-même, saisi dans l'incantation d'un de ses poèmes.
Démiurge rigolard, au verbe intarissable, Allen Ginsberg s'attaque à l'Amérique bien pensante, l'Amérique frileuse et anticommuniste à peine sortie de la guerre de Corée pour se préparer à s'embourber dans celle du Vietnam. On devine qu'à l'époque, où l'humour corrosif façon "stand-up" d'aujourd'hui était loin dans les limbes, cette logorrhée poétique aux images violentes et provocatrices tenait de la subversion...
Ce "coucou" d'outre-temps du poète a bien préparé le spectateur à ce qui va suivre : le temps de la performance. Derrière ses lunettes et ses faux-airs de cadre moyen des "fifties", Douglas Rand, qui se présente d'ailleurs comme un "acteur performeur", lance son cri ginsbergien tour à tour, selon son bon plaisir, en VO et en VF, dans un anglais incantatoire et dans un français délicieusement et délibérément approximatif.
S'habillant et se déshabillant, revêtant une robe de chambre de boxeur-poète ou posant sur sa tête un chapeau d'Oncle Sam, il invoque Moloch, l'Amérique et l'Amour, submergeant tout dans un flux goguenard et jouissif d'images saugrenus, accolant ou entrechoquant des mots forts comme des alcools ou des drogues.
À la rescousse de sa démesure, se tient Jean-Damien Ratel, un musicien bien mis qui machine un instrument étrange que n'aurait pas désavoué Gaston Lagaffe. C'est le "Moloch Amédée", qu'il a créé pour cette bonne occasion. Mi percussion mi-corde, relié à son ordinateur, cet instrument illustre parfaitement la poésie de Ginsberg vu et corrigé par Douglas Rand, et la projette même dans le nouveau millénaire.
Tout est possible ici : le cri primal comme l'hymne américain, la dérision comme le sérieux du pape de la contre-culture.
Le spectateur est pris dans un tourbillon de bruits, de mots et de lumières. Grâce à la mise en scène de Bérangère Jannelle, tenant et soutenant la performance singulière de Douglas Rand, la scénographie de Stéphane Pauvret bigrement évocatrice de l'avènement d'Allen Ginsberg, les lumières vives et les pénombres chaleureuses de Marc Labourguigne qui recréent l'atmosphère fiévreuse de ces happenings des premiers temps, il est certain qu'au bout de son voyage à la "66 Gallery", le spectateur comprendra parfaitement ce qui s'est passé quand Allen Ginsberg a surgi en 1955 pour hurler son poème "Howl".
Quand il sortira de ce spectacle total, épuisé et heureux, il pourra lui aussi dire : "J'y étais !". Où ça ? Dans l'antre de la rue Saint-Martin où l'on délivre chaque soir un peu du secret de la poésie. |