Sous le haut patronage de la Ville de Venise et en accord avec la Fondazione Musei Civici di Venezia, le Musée Maillol présente avec "Canaletto à Venise" une exposition qui transporte le visiteur dans la Venise telle qu'elle a été magnifiée au 18ème siècle par le plus célèbre de ses chantres.
Conçue sous le commissariat de Annalisa Scarpa, historienne d’art, spécialiste de peinture vénitienne du 18ème siècle et conservatrice de la Fondation A.F. Terruzzi de Milan, elle se déroule selon un parcours urbain des "sestiere", les quartiers du centre historique de Venise, et leurs plus emblématiques points de vue.
L'exposition, riche de plus d'une cinquantaine de toiles, dont de nombreuses montrées pour la première fois en France et d'autres rarement exposées appartenant à des collectionneurs privés, bénéficie d'une belle scénographie de Hubert Le Gall.
Ce dernier a opté pour une palette chromatique mordorée qui, de l'amande à l'ambre jaune, exalte notamment le ciel azur et l'eau céladon des toiles et rythme les salles avec le bois brut des garde-corps et de quelques poteaux d'amarrage utilisés avec parcimonie pour une évocation intelligente du particularisme de la Sérénissime.
La Venise de Canaletto : une Venise plus vraie que nature
L'exposition consacrée à la production vénitienne du peintre Giovanni Antonio Canal dit Canaletto qui a immortalisé et sublimé la Cité des Doges avec ses "vues" considérées comme des cartes postales de luxe, ce qui n'est pas totalement faux compte tenu du contexte historique mais moins péjoratif que laisse accroire le qualificatif, est particulièrement intéressante puisqu'elle permet également de feuilleter une page de l'Histoire de l'Art.
Au 18ème siècle, Venise constitue une des étapes du voyage d'éducation des noblesses européennes baptisé "le Grand Tour" et le désir de chacun de ces "touristes" fortunés d'en rapporter une vue-souvenir pour impressionner la galerie a contribué au développement de la vogue de la peinture de paysage urbain en Italie.
Ce genre pictural basé sur la représentation perspective qui s'inscrit dans la filiation de la peinture topographique née au siècle précédent avec le développement de la cartographie dans la peinture baroque flamande - représentée au sein de l'exposition concomitante au Musée Marmottan-Monet consacrée aux "Peintures baroques flamandes aux Musées royaux des Beaux-Arts de Belgique" - a, du fait de ses particularismes, pris le nom de védutisme.
Et de ce genre, initié localement par le peintre Luca Carlevaris, Canaletto en est devenu le maître le plus réputé tant par l'abondance et la qualité de sa production quasiment érigée en industrie de fabrication que par sa notoriété.
Les oeuvres présentées illustrent l’intelligence créatrice de Canaletto qui a procédé à une hybridation réussie entre la reproduction fidèle et réaliste de la réalité propre à la peinture topographique flamande et la fantaisie du paysage décoratif à l'italienne.
La maîtrise du format panoramique combinée à la méticulosité flamande et l'utilisation modulée de la lumière dans une composition séquentielle récurrente en 3 plans (jardins/eau, édifices, ciel) se combinent, sous couvert de licence poétique, à la recomposition scénographiée de la réalité.
Car Canaletto était décorateur de théâtre avant de se reconvertir dans l'art pictural. Alliées à son talent de coloriste et un maniérisme délicat, elles concourent à donner à ces toiles une densité monumentale et un réalisme grandiose. D'où cette convaincante apparence de réalité dont Théophile Gautier écrivait : "Si vous n’êtes pas allés à Venise, arrêtez-vous devant la toile de Canaletto représentant la Madonna della Salute à l’entrée du Grand Canal et le voyage sera fait. La réalité ne vous en apprendra pas davantage, toute l’illusion est complète".
Si Canaletto est réputé pour les vues incontournables que sont la Place Saint Marc, le Pont du Rialto, l'église de la Salute et le Grand Canal, particulièrement appréciées des Britanniques qui constituent sa clientèle privilégiée, il a également peint des paysages plus plébéiennes avec les vues des îles depuis la Fondamenta Nuevo ou de la lagune depuis le quartier du Castello qui avaient les faveurs des collectionneurs russes.
A ne pas rater une des rares vues nocturnes ("Festa notturna alla chiesa di San Pietro in Castello") de même que les trois exemplaires de "caprice", sous-genre de véduta dans laquelle le paysage traité de manière néo-classique est partiellement ou totalement imaginaire, dont celui dans lequel Canaletto transforme le Pont du Rialto en temple.
De plus, de manière judicieuse et didactique, le Musée Maillol présente in limine la chambre optique, ancêtre de l'appareil photographique, utilisée par l'artiste ainsi que son carnet de croquis.
Ce qui permet de comprendre le mode opératoire du peintre, qui ne travaillait pas sur le motif mais en atelier, à partir de croquis très détaillés accompagnés de moult informations techniques fait d'après la vue panoramique rendue par la camera obscura qui servent ensuite au dessin préparatoire qui sera retranscrit sur la toile.
Canaletto eut un élève qui est également devenu un célèbre védustiste, Francesco Guardi, dont la mort à la fin du siècle correspond au déclin du genre. L'élève plus doué que le maître ? Ceci est une autre histoire que raconte l'exposition "Canaletto-Guardi - Les deux maîtres de Venise" présentée au Musée Jacquemart-André. |