Le 26 octobre, en Autriche, c'est le jour de la fête nationale.
Ce 26 octobre, le Grand Mix de Tourcoing accueillait Soap & Skin, artiste issue du pays sus-mentionné, et c'est peu dire qu'on était loin des hymnes à la patrie. Ceci dit le public était dans un état proche du recueillement. Précisons que sans première partie, le bar fermé pendant le concert, toute l'attention était aiguisée à point.
Cette jeune fille d'à peine 22 ans, au corps juste sorti de l'enfance impose une authenticité brute, aboutie qui tient tout le monde en respect. Elle nous offre (vraiment, difficilement) une prestation frontale, une attitude au premier degré, très touchantes. Dès le début, sur une scène plongée dans le noir et la brume, c'est irruption de musique électronique très forte et tribale, lumière stroboscopique, mais dès qu'elle peut, même entre deux phrases, Anja Plaschg part se réfugier derrière le rideau du fond de scène. Tout est dur, tout est donné.
L'ordinateur portable, la scénographie qui se fait fumées et faisceau de lumière pudique, l'intention évoque le froid et la dureté qu'on s'imagine de son pays, de l'histoire et des histoires autrichiennes, un côté Danny Elfman sans le décalage burtonien, du gothique à l'ancienne, sans les dentelles et en gardant le noir, la nuit, les ruines. Mais le piano à queue, sa voix si ronde et puissante font chair : c'est de la lave en plein glacier, une gravité terriblement humaine et charnelle.
Elle enchaîne au piano, accompagnée parfois d'une choriste en fond de scène, les titres nus, crus, rejoints par des pistes programmées tout aussi directes qui peuvent finir sur une irruption de basses qui fait vibrer les os, coupe le souffle. Joli passage où sa reprise de "Voyage Voyage" révèle ce titre, "Au-dessus des barbelés, des coeurs bombardés", comment a-t-on pu ignorer le tragique et la beauté de cette chanson ? (bon, 1986, c'était un autre monde).
Elle qui voudrait s'effacer dans sa musique, est manifestement débordée, à fleur de peau, à fleur de tripes. Et c'est beau de la voir assaillir son clavier, le frapper, démoniaque, il va prendre feu quand entière, elle se lève d'un bond comme brûlée, sans manières, mais ça n'est juste pas possible autrement, c'est trop, ça lâche, elle tente de reprendre ses esprits.
Esprits qu'elle semble perdre quand sa voix défaille. Ce soir-là quelque chose cloche, et cette fragilité renforce d'autant l'impression monolithique qui se dégage d'elle. Le flot de paroles se ralentit, soupir, tenir, se ressaisit, enfle, explose, mais c'est une lutte. Elle s'en excuse mais ça nous fait piquer les yeux.
Revenue de tout elle finit en laissant son piano pour une danse de corps orchestre, incarnation, c'est là qu'elle s'efface. Dans la musique tonitruante de sa Marche funèbre.
Son corps qui s'exprime nous rappelle l'introspection de sa musique que sa présence nous avait fait oublier. Les sens et la pensée étroitement enlacés dans son univers froid et puissant, c'était un concert extraordinaire.
Allons boire un verre pour s'en remettre. Mais non, inutile. C'est là, ça reste là. |