Récit à deux voix d'après une pièce de Sofia. Prokofieva, mise en scène de Habib Naghmouchin, avec Cécile Lehn et Rodolphe Poulain.
Le Théâtre de la Boutonnière, lieu essentiel de création et de recherche théâtrales, propose de nouveau un spectacle qui attire toute l’attention.
En Russie, à l’époque contemporaine. Mais ce pourrait être ailleurs. Un homme et une femme se déchirent. Ils se sont séparés, tout en sachant que cela ne soigne rien. Un enfant les relie, absent.
Des images du passé, de l’harmonie, de la bonne volonté, du génie à être ensemble, courent sur les murs, incongrues, bouleversantes, comme traversant un rêve.
Sur ce thème éternel de l’Après-Eden traité par Sofia Prokofieva, Habib Naghmouchin a imaginé une mise en scène intimiste qui rappelle souvent l’univers de Bergman, mais avec une violence sortie, saccadée, pulsionnelle, provoquée par l’alcool fléau.
Deux comédiens exceptionnels, investis, incarnés, portent à bout de bras le texte fort de ce texte. Cécile Lehn, femme puissante dans un corps frêle, tient tête, émue encore par cet homme qui l’a aimée, à la dérive, mais le lien est rompu et son sexe ne raccommode que le tissu. Elle ne cédera rien, Carmen du fleuve Amour.
En face d’elle, Rodolphe Poulain, beau jeune homme enfermé dans l’armure de la maturité, empâté par la vodka et le ruminement, enfant, mâle, essaye de survivre face à cette vague géante et le coup part, comme le chien mord, par peur. Magnifique exposition du comédien, bravant le péril.
Ces deux-là menacent de s’ébouillanter, de s’étrangler, de s’estourbir toutes lumières éteintes. Ces deux-là refont les gestes du crime absolu : la fin de l’amour, acceptée dans la résignation et le faux sentiment de libération. Nul n’ a raison. Qui a commencé à trahir ? Qui a aimé le plus ? Qui accepte la mort ?
Moment de richesse et de dons, de plongée dans sa vie propre, "Sans témoin" atteint et dénoue, acte de théâtre vrai. |