Monologue dramatique d'après le roman "Ulysse" de James Joyce conçu par Jean Torrent dit par Anouk Grinberg.
Quand Leopold Bloom rentre à la maison après une journée chaotique dans Dublin, il trouve Molly au lit. Quand il se couche tête-bêche à ses côtés, il n’ignore pas que les draps se souviennent encore des ébats de son épouse avec un autre homme, un prétendant comme aurait dit Homère en psalmodiant l’Odyssée…
Mais quand on vient justement de revivre en une journée dublinoise tout le périple d’Ulysse, on est trop fatigué pour demander des comptes à sa Pénélope et l’on s’endort ivre de mots et de vin.
C’est donc le moment pour Molly de prendre enfin la parole et pour Anouk Grinberg de la rendre belle et inoubliable.
Dans son adaptation limpide du personnage de '"Ulysse" de James Joyce, Jean Torrent a privilégié la compréhension sur l’opacité. Avant que la lumière éclaire le grand lit de fer bien pourvu en oreillers, draps et couvertures, une voix off pose la situation d’un Bloom ayant découché et rentrant dans une chambre sentant l’adultère.
D’un texte sans ponctuation, Jean Torrent a trouvé les bonnes articulations et construit une "Molly Bloom" jamais dans le ressentiment et l’exaltation. Anouk Grinberg ne s’enflamme pas, préfère le chuchotement aux cris et aux reproches.
Elle a d’emblée trouvé le timbre juste pour incarner la voix de Molly, pour lui insuffler quelque chose mêlant gouaille et étonnement. Molly est une femme du peuple mal mariée à une espèce de demi-intellectuel. En vingt ans de vie dite commune, elle s’est évidemment un peu "bloomisé". Comme lui, elle est capable de raconter avec humour et moult digressions ce qu’elle vient de vivre, surtout quand il s’agit d’un événement extraordinaire : son premier adultère…
On a souvent tiré le monologue de Molly vers le féminisme. Ici, Anouk Grinberg n’est pas sur le ton de la revendication. Elle s’attache simplement à faire comprendre comment une femme du début du siècle découvre l’autonomie de son être charnel face à la toute-puissance de son être social. Tout jaillit d’un "Oui" qui fait partir le flux de ses mots. Tout s’achève par un autre "Oui" qui inaugure sa liberté nouvelle.
Entre les deux, assise sur son lit, elle aura déballé beaucoup d’intimité, revisité avec une certaine tendresse, ses années bonnes et mauvaises passées avec Bloom.
C’est peu dire qu’Anouk Grinberg captive son auditoire. Elle est mystérieusement aidée par la présence-absence d’Antoine Régent, qui incarne Bloom allongé sur le lit et dormant profondément pendant toute la durée du monologue.
En une heure chrono, l’actrice éclaire de toute son intensité intérieure le personnage de Joyce. Anouk est Molly. Elle a beau s’étonner du triomphe qu’elle obtient quand elle prononce le "Oui" final, elle a trouvé en Molly Bloom le rôle de sa vie. |