Ça commence toujours comme ça, quelqu’un se pointe, l’air de rien. Il est rejoint par un autre, puis deux. Ces quatre là par quatre autres… et comme ça, l’air de rien, le nénuphar croit et les grenouilles coassent. Jetant leur pavé dans le tintamarre du Fil, les batraciens babillent. C’est une émeute polyphonique, un concerto partisan, une jacquerie sonore.
Pour Froggy nous avons croisé les voix, mélangé les regards, récolté les avis. Au hasard des lignes nous péchons quelques phrases, quelques mots, glanés de-ci de-là, hameçonnés par hasard, ou appâtés adroitement. Puis c’est toujours comme ça, l’air de rien la salle se remplit, se réchauffe, la lumière décline, les coassements cessent… les bêtes de nuit sont lâchés !
"Bonsoir Clermont Ferrand !" Deux soirs de suite, ça fait beaucoup ! Non, ici nous ne faisons pas dans le pneumatique monsieur, ici nous creusions la terre, ici nous manufacturions, nous sidérurgions, monsieur ! "La casquette de travers nous avions la classe ouvrière", mais aujourd’hui… oh et puis on s’en fout !
Aujourd’hui nous sommes venus, tous, l’air de rien, enfants accompagnés de leurs parents, jeunes en bandes, bandes de vieux, papas-mamans entres amis et punks en meute… On peut croiser n’importe qui. Et c’est bien ! Ce soir chacun oublie la crise, sa nationalité, sa semaine de boulot, son âge… Vous voulez du rock, vous n’allez pas être déçu !
Ce soir, ce doit être l’anniversaire du bassiste… ses doigts cognent les cordes neuves roses fluo de sa basse, et tout le monde recule, imperceptiblement, de quelques centimètres, encore et encore. La furie se propage des premiers rangs au fond de la salle.
- "On entend bien la basse".
- "Quoi Mamie ?"
- "Mais on ne comprend pas toutes les paroles…"
- "On les trouve sur Internet… aujourd’hui c’est un concert Mamie, on est là pour prendre notre dose de Rock et de live !".
Ici, tout le monde connaît les derniers albums par cœur, alors le groupe va nous donner du Pamplemousse mécanique bien sûr, du Sens de la gravité, évidemment, du Coming Out forcément, mais avec de nouveaux arrangements, plus durs, plus rock, des tempos modifiés, des paroles déstructurées. C’est bien plus une performance à partir des titres qu’une interprétation fidèle des chansons studio. Le public n’a pas eu l’air de s’ennuyer ou de s’en trouver gêné. L’énergie est communicative et, autant la trentenaire alcoolisée chancelant à chaque pas de danse maladroit, le troupeau de jeunes bœufs pogotant, les couples fusionnels recroquevillés en position de fœtus siamois, que les rockers usés aux discrets hochements de têtes métronomiques, semblent conquis par le show.
Un show des Fatals Picards, c’est toujours une réunion étonnante entre un gros concert de rock et une épreuve d’Intervilles : sur scène quelques gars essaient de jouer de leur instrument et Paul la vachette caracole, bouscule et met au sol les usages et les bonnes pratiques.
Paul chante, joue la comédie, saute, crache, tire, pousse, crie, casse, tombe ; tandis que bassiste, guitariste, batteur portent le cadre et l’encadrent, Paul. Les musiciens donnent le La, Paul lui donne le sel… du spectacle, la touche épicée, le n’importe quoi attendu. L’épice seule n’étant que de la poudre, le plat sans sel un mets lourd un peu fade, chacun veille au bon dosage des ingrédients, pour que l’alchimie fonctionne.
Et ça marche ! Le public chante les textes à la fois drôles et incisifs, rit, participe… Il adhère au concept et en veut pour son argent. Alors le groupe déroule sa setlist, bien huilée.
Depuis leur dernière date au Fil en début de tournée, la prestation s’est arrondie, affinée. Les lourdeurs ont subi une bonne taille et les nouveautés émaillent le tableau. La partie acoustique fonctionne mieux et met davantage en lumière les textes des morceaux choisis : "Mon père était tellement de gauche", "1983", "Le jour de la mort de Johnny", "Le retour à la Terre". Forcément le retour en force, avec un poétique "Pogo d’amour", gagne en puissance et, après un dernier "Partenaire particulier", le tintamarre, l’air de rien, repart de plus belle, les coassements concurrençant les hululements.
Tant de bruits ne pouvait que présager de la tempête qui explose en rappel avec les titres phares, qui éclairent et guident la salle pour mieux rentrer au port : "L’amour à la Française", l’incontournable "Bernard Lavilliers", et "Noir(s)".
Noir sur scène. La nuit s’empare des ombres… Les grenouilles discourent, la faune locale se disperse et reprend ses droits. Nos petits bruits ordinaires nous reviennent. Les bêtes de scène ont regagné la nuit. L’air de rien. |