Comédie dramatique de Samuel Beckett, mise en scène de Alain Françon, avec Serge Merlin, Gilles Privat, Michel Robin et Isabelle Sadoyan.
Avant toute chose, dire que "Fin de partie", la deuxième pièce écrite par Samuel Beckett, n'est pas un texte abscons, compliqué, avec des niveaux de lecture pour universitaires.
Comme le proclamait Roger Blin, qui l'a mise en scène et interprétée à sa création, "Fin de partie" est "une pièce qui est à un niveau théâtral absolument direct, où il n'y a pas d'immense symbole à chercher, où le style est d'une absolue simplicité".
Jeu sur les êtres et sur les mots, prétexte pour Beckett à s'amuser avec sa langue d'adoption, "Fin de partie » n'est ni datée ni actuelle, ni à jouer dans les conditions de 1957 ni dans celles d'aujourd'hui.
Alain Françon qui l'adapte en respectant très scrupuleusement et fort méthodiquement les didascalies dont Beckett n'est jamais avare, sait que c'est un exercice de style ludique, une passe d'armes entre deux êtres solitaires mais solidaires, un peut-être père et un peut-être fils, un faux-semblant maître et un pas ressemblant domestique, un aveugle qui ne bouge pas et un voyant qui bouge trop...
C'est une tragédie, c'est-à-dire qu'on est là pour s'amuser de nous-mêmes et de notre piètre condition, avant que l'on siffle l'extinction de la race, la fin de la partie humaine...
Dans ce cadre minimal, le seul trait d'époque à la discrétion du scénographe et du metteur en scène est la couleur des murs. Au milieu de ce monde d'un gris noir dont Jacques Gabel et Alain Françon n'ont pas exagéré la noirceur, se débattent en vains débats, Hamm, un grabataire sur son simili-trone à roulettes personnifié à l'excès par un Serge Merlin hésitant entre être Lear et Shakespeare, entre Homère et amer, et Clov, un vieux ludion blanc, que Gilles Privat rend poétiquement comparable au spermatozoïde que jouait Woody Allen.
On aurait préféré que Serge Merlin modère ses colères comme l'envisageait Beckett qui rêvait d'un Hamm moins tempétueux et plus dans l'autodérision. Car, au fond, "Fin de partie" décrit une journée ordinaire de Hamm et de Clov. Ils ne sont pas dans la haine définitive, mais dans un jeu de rôles bien établi, dans un rituel où l'amour et l'amitié se cachent derrière certaines paroles excessives.
Le Clov subtil de Gilles Privat n'oublie pas cette dimension. Il sait que le méli-mélo de choses graves et sans importance dites aujourd'hui reviendra demain. Il n'ignore pas, comme Hamm le souligne à un moment, qu'il est là pour donner la réplique. Il est aussi là pour permettre à Beckett, devenu auteur de répertoire sans qu'on lui demande son avis, de garder une part de son mystère buissonnier et de résister à tout, même au confort de l'académisme. |