Une fois n’est pas coutume (j’aime bien cette formule : une fois n’est pas coutume, du coup je la case deux fois !), un peu d’histoire pour commencer : Jean Buridan est un philosophe tout ce qu’il y a de plus gaulois, célèbre pour son paradoxe de l’âne : le pauvre mulet est mort de soif et de faim à force d’hésiter entre le seau d’eau et l’avoine (personnellement j’aurais pris l’eau, ce n’est pas mon truc l’avoine). Bref, notre Buridane ci-jointe est femme, midinette blondinette pouponnette qui chantait avant avec son corps et chante maintenant avec sa voix. La voilà dans notre salon avec Pas fragile.
Pas fragile ? Du genre : même pas peur ou pieds sensibles ? D’abord, une voix, fragile, de fillette, qui s’affirme, qui s’éraille parfois même, une guitare au centre et des musiciens aussi discrets qu’efficace tout autour. Mais surtout, un univers, construit au long de son ascension, parce que ça fait un bail la première fois que j’ai entendu "Badaboum" (un truc genre 2008... whoaaa !) son refrain retenable et ses phrases droites "le pas boiteux de ces gens soupçonnés d’enthousiasme douteux… on n’aime pas les gens heureux".
Le décor est planté, le ton est donné, pas de mielleux, pas de scandaleux. Et même si ces titres ont certainement été écrits à différents moments de sa vie, même si elle s’est inspirée de différentes choses (enfin j’imagine), Buridane raconte à mon avis une seule et même histoire. Il serait présomptueux de dire "Notre histoire à tous", c’est déjà pris en plus, et ça ferait un peu racoleur ici.
Laissez-moi vous la raconter telle que je l’ai entendue, et autant vous dire d’avance : elle n’est pas drôle, mais je ne sais pas comment elle finit. Puisque Buridane est une femme, disons que c’est son histoire, celle d’une femme seule et esseulée, au milieu des enfants des autres qui courent sur la plage, qui se met du rouge à lèvre et des jolies robes et qui regarde les étoiles dans le ciel, qui retient ses colères et continue d’avancer, alors que tout ça ne sert à rien "Si y’a personne". La solitude.
Elle rencontre un prince Charmant, mais très vite, le charme n’est pas aussi Charmant qu’escompté, qu’espéré, mais retrouver la solitude lui parait trop difficile, donc elle s’accroche, laissant ce petit truc grandir en elle, ce petit truc encombrant, ce petit truc camisole : le chagrin, la douleur, la résignation… "Jusqu’où petite". Parce que le Charme est rompu, "Le Serment" qui se faisait passer pour de l’amour l’oblige à se taire, alors que le mal est fait, les excuses ne réparent : "La Dispute", "Mieux que moi", "Parfois on recule".
Et puis elle se décide, "Pas fragile" : "hier j’ai sorti mon corps tout lourd, je l’ai baladé dans la vie, je lui ai fait regarder tout autour voir comme le monde était joli". Une chanson de rupture qui dirait : je vais galérer… même pas peur. Mes pas seront fragiles mais je me relèverai parce que je ne suis pas fragile.
Mais avant ça, les regrets, les remords, les cendres, "La Caillasse" : "on dirait que c’est la dernière fois qu’on m’aura, je donne tout à chaque fois, je donne tout, mais qu’est-ce qu’il reste de moi ?".
Oui, c’est une histoire de fille, mais Buridane a le don de mettre des mots justes sur ses douleurs, leur donnant plusieurs lectures, interpellant directement le cœur. Si les grincheux trouvent le guitare-voix monotone, c’est parce que Buridane s’écoute comme une bonne copine qui fait n’importe quoi pour ne pas rester seule. |