Démarche chaloupée, costard rayé, chemise-cravate, le feutre vissé sur la tête, je vois Archie Shepp s'approcher de la scène du Vauban, rythmant ses pas de quelques notes soufflées dans son saxo.

Son regard ne croise personne, c'est pas de la fierté, non, l'homme est déjà ailleurs, hanté, habité qu'il est par les ombres de ses amis disparus, de John Coltrane à Cecil Taylor. On dit d'Archie Shepp qu'il est une légende et ça le fait sourire.

D'ailleurs le personnage est atypique, hors-norme, soixante sept balais cette année et toujours le même détachement pour le futile, comme son agacement sur le mot jazz, lui préférant la notion de "musique instrumentale afro-américaine". Archie Shepp est une légende à deux dimensions.

Une dimension musicale parce qu'il est l'un des derniers grands noms vivants du jazz. Une dimension humaine parce qu'il a été de tous les combats politiques aux Etats-Unis, dans la lutte pour l'égalité des droits du peuple noir.

Sur scène il évoque le passé, sans amertume, juste un brin de nostalgie, parle de sa grand-mère - "née dans l'esclavage" - dédie "Steam" à son cousin, mort à quinze ans dans la répression des manifestations à Philadelphie.

Influencé par Lester Young, Count Basie ou le Duke et plus tard par Charlie Parker, Archie Shepp livre une musique où se mêlent sons et chant, un voyage dans le passé.

Et par une curieuse aptitude du Vauban à se mimétiser, on est transporté, ailleurs, au début du vingtième siècle sur un autre continent, au son d'une musique qui scandait les souffrances d'un peuple.

Que reste-t-il de nos amours ? Archie Shepp, debout, les yeux mi-clos, fredonne cette douce chanson dans la langue de Molière, avec une pointe d'accent inimitable.

Et puis le temps d'une reprise avec la délicieuse Mina Agossi et c'est déjà presque fini.

Les lumières sont rallumées et alors que le public du Vauban en redemande, Archie Shepp revient, seul sur scène, pour s'excuser de ne pouvoir continuer parce que le groupe est à Londres le lendemain.

Classieux et élégant Mister Shepp. Et ça, c'est pas de la légende...