Comédie de Copi, mise en scène de Thomas Ress, avec Ayouba Ali, Virginia Danh, Guillaume Ferrandez, Franck Jouglas, Nicolas Phongpheth et Romain Sandère.
Quelle bonne idée d’en revenir à Copi ! Et de le faire avec conviction, avec finesse et sérieux. Car Thomas Ress et ses comédiens, une véritable troupe, ne se permettent pas la facilité du second degré.
Le metteur en scène fait vivre le crescendo de cette réunion improbable au treizième étage d’une tour de la Défense pour un Réveillon de la Saint Sylvestre qui commence dans le peu conventionnel, se poursuit dans le saugrenu pour finir dans le feu, le sang, le drame le plus insupportable, mais aussi par la naissance d’un bel amour.
On est ici au cœur des années 1970, celles de la contre-culture, des combats pour la différence. Souffle l’esprit pré et post-soixante-huitard, celui d’Hara-Kiri et de Charlie-Hebdo, frémit le théâtre d’Arrabal, la démesure du cinéma de Jodorowski et le rire tonitruant des dessins de Roland Topor.
On est aussi avant la triste "invention" du Sida. Les mœurs sont entravées, mais ceux qui osent jouir sans entrave peuvent aller jusqu’au bout du désir et du plaisir.
C’est le cas chez Copi, Argentin parisien dont les dessins et le théâtre sont peuplés d’homosexuels et de travestis en quête d’amour ou de cri d’amour. Chez Copi, rôde le fantastique, tournoie l’absurde, avec une morale subversive très simple : avant tout, il faut rire de tout.
Thomas Ress réussit parfaitement à retransmettre cette ambiance qu’on aurait crue désormais bien éloignée des préoccupations du jour. Sa réussite s’explique d’abord parce que l’action se déroule dans l’intérieur très moderne d’un appartement des années 1970 qui n’est pas surchargé d’éléments design de l’époque qui en ferait quelque chose d’un mauvais goût kitsch ou daté.
La scénographie travaille d’abord sur la fluidité des personnages et de leurs mouvements aberrants dans ce grand appartement : les boas et les mouettes peuvent y surgir à tout moment, ils y seront accueillis et intégrés sans problème dans la salle de bains ou dans la cuisine. Quant aux landaus, ils s’y déplacent sans heurts et au-delà du malheur.
Dans cet univers où l’on mange beaucoup et toutes sortes de mets, il y a surtout l’exaltation de l’insatiable appétit de personnages qui ne sont pas les simples caricatures qu’on attend.
Presque contemporaine d’une pièce où le Père Noël était qualifié d’ordure et les travestis moqués au fer rouge, "La tour de la défense" a, elle, une vraie dose de compassion pour Micheline, son travesti, et évite toute dérision malsaine. Copi ne se moque jamais de ses personnages et préfère créer des actions inattendues qui entraînent le rire.
On appréciera tous les protagonistes de ce spectacle vif et jamais vulgaire qui réhabilite une époque anticonformiste dans laquelle personne n’avait à se justifier ni à peser le court et le contre avant de porter sa voix sur scène.
Aujourd’hui encore, en voyant cette farce aussi grinçante qu’émouvante, on découvrira que Copi, en vrai analyste de la société, avait choisi de faire un pied de nez à ce "politiquement correct" qui n’en était qu’à ses prémisses mais dont il devinait déjà les ravages futurs.
"La tour de la défense" est un régal théâtral, un vrai divertissement qui transcende bêtise et méchanceté pour proposer la possibilité finale d’un amour impossible. |