L'année 2013 commence bien pour les lecteurs assidus de Dominique Sylvain, une brune qui ne compte pas pour des prunes dans le roman policier français, comme pour ceux qui l'ont découverte par ses derniers opus en date, "Le Roi lézard" et "Guerre sale", avec la réédition dans la collection Points des Editions du Seuil de deux romans en diptyque datant du début des années 2000.

En diptyque, parce que "Vox" et "Cobra" s'inscrivent dans le registre du thriller en déclinant de manière originale et inspirée les deux principales figures du meurtre en série que sont le meurtrier pathologique et le justicier vengeur et que l'enquête est menée par la même équipe de policiers.

Pour maintenir le suspense, Dominique Sylvain procède, avec la patte qui est la sienne qui tient certes à son écriture nerveuse et efficace mais également à la construction originale de ses récits reposant sur l'hybridation réussie de plusieurs genres, à l'inverse du déroulement classique de l'intrigue qui tient à l'élimination successive des suspects conduisant à l'identification du coupable.

En effet, si le mobile du crime et le mode opératoire sont immédiatement circonscrits, en revanche, le déroulement circonvolutoire de l'enquête semble davantage brouiller que préciser le portrait-robot du tueur.

La liste des coupables potentiels s'allonge au lieu de se rétrécir ce qui désoriente judicieusement le lecteur et induit un état de suspicion généralisée qui conduit ce dernier à soupçonner tous les protagonistes même les plus improbables. Et bien malin celui qui peut se targuer d'avoir élucidé le mystère avant le dénouement.

Dans "Vox", couronné par le prestigieux Prix Sang d'Encre en 2000, tout commence par un brutal chapitre "in-yer-face" qui cueille le lecteur à froid avec ce qui paraît un jeu érotique sado-masochiste entre adultes consentants et s'avère être un meurtre programmé dans le cadre d'une entreprise aussi délirante que troublante.

Car ce meurtre méthodique et résolu, un parmi une longue série, exécuté par un homme, seule certitude et viatique du lecteur pour la traversée quasiment au-delà du réel imaginé par l'auteur, un homme au corps de guerrier et à l'âme noire qui a su "travailler en profondeur pour nourrir les sources du contôle de soi et de l'acceptation de sa vraie nature", constitue une des étapes d'un voyage qui doit le conduire à la renaissance suprême et à l'immortalité par le basculement des données du cerveau dans une entité cybernétique.

Car tel est l'enjeu : "Plus de souffrance, plus de sexe, plus de morale, plus de mort", un nouvel âge de l'Humanité, le meilleur des mondes enfin possible grâce aux nanotechnologies en plein développement au début du 3ème millénaire. L'enjeu et un cycle de destruction pour apaiser, conjurer et détourner un traumatisme infantile insusceptible de résilience.

Et pourquoi "Vox" ? Parce que tel est le surnom donné au tueur mais surtout parce que un des véhicules de sa "renaissance" est un thésaurus vocal bien spécifique, celui d'une femme possédant une voix grave, sensuelle et profonde et le timbre voilé des fumeuses, telle celle de la victime animatrice star d'une émission nocturne de dialogue intime avec les auditeurs diffusée sur Radio France, qui n'est pas sans évoquer Macha Béranger, qui donne un nouveau tournant à l'enquête menée par le "groupe Bruce" de la Brigade criminelle.

Composée de techniciens et d'officiers, dont notamment le procédurier Marc Sanchez et l'adjoint, et ami, Victor Cheffert, il est encadré par le commandant Alexandre Bruce, policier par vocation, enquêteur d'élite "qui n'a rien d'un cowboy de l'anti-gang" et passionné de mythologie qui tire obstinément sur le fil d'Ariane qu'il tisse intuitivement avec le tueur.

Entre en piste, Alain Sagnac, le psychocriminologue, "le seul profileur français expert en portraits psychologiques de tueurs", qui diagnostique un psychopathe organisé et non un compulsif tueur psychotique, impose sa voix(e) en préconisant la stratégie de l'appât avec une femme à la voix ad hoc en la personne du capitaine Martine Lewine qui a fait ses preuves dans un commissariat d'arrondissement.

Bien qu'ayant "l'air et l'odeur d'une fille saine", cette dernière est un personnage ambigu, durement cabossé par la vie et qui a subi elle-même un enlèvement par un sadique, dont la personnalité trouble, les pratiques musclées et l'ambition d'intégrer la Crime suscitent autant de circonspection que d'attraction chez le commandant.

Car vie privée et vie professionnelle ne constituent pas des compartiments étanches et Dominique Sylvain les imbrique de manière réussie à travers de portraits d'hommes et de femmes pour qui la vie n'est pas un long fleuve tranquille et pour qui, comme le chantent les Rita Mitsuko, les histoires d'amour finissent mal en général.

Fluide et nerveuse, l'écriture au scalpel de Dominique Sylvain soutient parfaitement une atmosphère lourde, une tension noire et une action corsée, ses fondamentaux, qui ne faiblissent pas jusqu'au dénouement salvateur.