Une tournée mondiale des voyageurs islandais avec une escale sur Lille était annoncée. La curiosité, les souvenirs, l'envie de vivre un moment planant, il m'a suffi de peu d'arguments pour me décider à assister au concert de Sigur Rós.
Sigur Rós ? Ou "Autre monde", "poésie", "rêve éveillé", "émotions". Cela ne vient pas de moi, ce sont les retours lillois. Pour moi, le groupe est une sorte de madeleine de Proust musicale. Il me rappelle des souvenirs.
Si je devais proposer une seule raison, je dirai que tout vient de l'univers musical. Entre rock progressif et musique classique, le chanteur et guitariste protagoniste Jón Þór Birgisson ou Jònsi, en créant en 1994 le groupe, a façonné une identité musicale étonnamment introspective.
Pour commencer, la musique enveloppe le spectateur de son rythme lent et sinueux. Jònsi, pourtant accompagné de nombreux musiciens, en est la pièce maîtresse. C'est d'abord son jeu de guitare. En utilisant un archet de violoncelle, il provoque ses effets allongés atmosphériques, sorte de brumes musicales tout droit venues du Nord. Cela donne une sensation organique, des notes "foetales" m'a-t-on soufflé. Le nom Sigur Rós viendrait d'ailleurs du nom de la sœur de Jònsi, nouvelle-venue : Sigurrós. Et puis il y a cette voix, aussi atmosphérique que la guitare. Encore une fois Jón Þór Birgisson expérimente en utilisant la technique de fausset, lui permettant de pousser des sons très aigus qui me font sérieusement penser à ces chanteuses Bollywoodiennes. Parfois, un xylophone résonne comme sur le titre-succès "Hoppipolla".
Sigur Rós avec ces ingrédients, prépare donc un savant mélange-cocon musical pour ensuite mieux faire vibrer intérieurement l'auditeur. Et c'est là le deuxième effet "Ròssien". La musique se fait plus explosive, appuyée de l'orchestre classique qui accompagne le groupe, la voix plus intense, la batterie percussive. On en ressort forcément transpercé.
En découvrant Sigur Rós, par l'album Takk et Agætis byrjun, cela m'a donné d'abord beaucoup d'espoir - Von, en islandais, le nom choisi pour intitulé le premier album du groupe.
Espoir car, au contact d'explorateurs, amateurs, passionnés, révoltés, de la musique, j'ai toujours opposé deux camps musicaux. Le premier, pour qui j'ai une grande admiration, sait chanter les paroles d'une chanson par cœur, quelle que soit la langue. Après de longues années de béatitude, je me suis dite pour me consoler, qu'ils étaient sûrement très fortiches en langues, mais qu'également, ils devaient passer des nuits entières à décortiquer les paroles, lire des interviews de celui qui a commis de sa plus belle plume. Bref. Ils connaissent le pourquoi du comment de la création des mots. Je l'appelle le camp "des littéraires de la chanson".
Et puis, il y a le deuxième. J'y ai toujours ma carte de membre. Ce sont ceux qui chantent en yaourt, qui baragouinent des sons sans queue-ni-tête, la mélodie c'est déjà pas mal. Le camp "des marshmallows de la chanson". J'y ai toujours ma carte de membre. Non pas que le sens soit inintéressant, non pas que les mots n'ont pas d'importance mais c'est avant tout la mélodie qui vibre dans les oreilles. Et puis j'ai découvert ces artistes qui avouent écrire leurs chansons avec des sons : Sigur Rós et d'autres. La recherche de musicalité des syllabes, les mots inventés qui s'adaptent sublimement à la mélodie. Je comprenais enfin le processus de création de certains et en quelques sortes, comment la musique venait à moi. Espoir de me rattacher peu à peu, un peu plus aux mots.
Vous pensiez peut-être que Sigur Rós écrivait en Islandais ? Leur langue maternelle est elle-même plutôt exotique aux oreilles. Et bien, Jònsi a inventé aussi son propre langage, disons, sa propre technique de communication : le Vonlenska. Un mot-valise de "lenska" pour "islenska" ou Islande et "Von" pour espoir... comme quoi, beaucoup de choses ont commencé par là. Je ne ferai pas la maligne, je serais incapable de différencier l'islandais du vonlenska. Mais, toutes les deux sont aériennes, veloutées, les voyelles s'y baladent toutes naturellement et les émotions sont là, intactes. Loin des Magma et Nosfell qui ont été plus loin : créer de nouvelles langues et de nouveaux univers, Jònsi a voulu simplement produire une langue que tout le monde pourrait comprendre à sa façon.
Mais tout ça ne donne pas tout à fait les clés de succès du concert. Comment c'était déjà ?
Je ne suis généralement pas fan des grandes salles. Mais j'avoue que, cette fois, le lieu était propice pour le spectacle. Les chansons de Sigur Rós résonnaient dans cette immense salle avec une intensité agréable et provocante. Je me suis surprise à sursauter aux impacts brutaux de la batterie et le vrombissements des cuivres.
Esthétiquement, le concert était tiré aux quatre épingles. Le groupe a commencé à jouer ses deux premiers titres, enveloppé derrière de grands rideaux. Les projections de lumières donnaient des effets d'ombres chinoises attrayantes. Puis le rideau est tombé, laissant apparaître le groupe, l'orchestre à l'arrière, surmonté d'un immense écran. Durant le spectacle, effets de lumières et images organiques et aquatiques se multipliaient – épileptique, spectacle à redouter - Sigur Rós, pour leur dernier album Valtari, avait en effet énormément miser sur la création vidéo. Un concours avait même été lancé pour que des réalisateurs, non connus, avec un même budget limité, créent une vidéo pour chaque titre, selon leur ressenti, leurs émotions.
Et pourtant, j'ai préféré fermer les yeux durant la majorité du concert. D'abord, parce qu'il n'y avait pas de mouvements, pas une réelle effervescence sur scène. Ce n'est pas forcément le genre d'ambiance adéquate, je l'avoue. Pas d'interventions. Pas d'échanges. Et puis, je ne comprenais finalement pas à quoi servait ces images. Oui, c'est une grande mode mais à quoi bon ? Si ce n'est pour capter l'attention ?
Les yeux ouverts, j'étais attiré par l'écran, absorbée par les images. Les yeux clos, j'entrais véritablement dans la musique, succombant enfin à l'intensité du spectacle. |