Grâce au Musée Marmottan-Monet, au prêt conséquent du Musée Marie Laurencin de Tokyo et à la croisade de Daniel Marchesseau, spécialiste de son oeuvre pour laquelle il a publié plusieurs catalogues raisonnés, Marie Laurencin sort du purgatoire pictural dans lequel elle est confinée depuis plus d’un demi siècle.
Un purgatoire dû notamment à la désaffection pour son style pictural représentatif du goût français qui ne comptait pas parmi les courants mainstream des années 50 mais également, comme l’indique ce dernier, au fait que sa dernière compagne et héritière de ses biens a failli au devoir de mémoire envers l'artiste.
Or, Marie Laurencin s’inscrit résolument dans l’Histoire de l’Art en ressortissant à la catégorie des rares femmes peintres du 20ème siècle qui étaient peintres de métier, par rapport à ses consoeurs amateurs éclairées auxquelles le Musée Marmottan-Monet a consacré l'exposition "Femmes peintres et salons au temps de Proust - De Madeleine Lemaire à Berthe Morisot" ayant, de surcroît, connu un beau succès et acquis une grande notoriété de son vivant.
Pour cette première exposition monographique en France, les commissaires Daniel Marchesseau, Conservateur général du Patrimoine qui vient de quitter la direction du Musée de la Vie Romantique, et Hirohisa Takano Yoshizawa, Directeur du Musée Marie Laurencin qui gère la riche collection privée constituée par son père, présentent un florilège d'une petite centaine d'oeuvres représentatives de sa période la plus féconde et de l'évolution de sa facture pour présenter "un panorama aussi séduisant qu’emblématique de cette œuvre qui participe pleinement du génie français au 20ème siècle".
Marie Laurencin, la nymphe d'Auteuil
Marie Laurencin, qui a été l’enfant chérie des Années Folles, doit son succès grâce à un talent qui ne tenait pas tant à sa maîtrise de l'art pictural qu'à l'exercice aigu d'une faculté précieuse celle du discernement, synonyme d'un opportunisme éclairé.
Elle a permis à cette enfant naturelle issue ni de la bourgeoisie, ni du sérail artistique ,de s'intégrer dans les lieux porteurs de la production artistique contemporaine par la fréquentation des avant-gardes, picturales en s'introduisant dans le phalanstère du Bateau Lavoir puis littéraires, devenant l'illustratrice des auteurs de la NRF, et de détecter les personnes influentes de son époque tant du milieu lesbien découvreur et mécène - Gertrude Stein fut sa première commanditaire - que la haute société parisienne en pratiquant un genre pictural dont elle raffolait, celui du portrait mondain.
De plus, au plan pictural, après des prémices académiques et une tentation cubiste, Marie Laurencin, soutenue par le marchand d'art Paul Rosenberg, a su se démarquer par une oeuvre personnelle et atypique à contrecourant des grands mouvements artistiques de son époque.
L’art laurencinien,qui ressortit de la tradition renouvelée du goût français ce qui a également séduit les collectionneurs étrangers, se caractérise par la singularité de son langage tant sur le plan graphique que chromatique avec un vocabulaire de formes ornementales qui oeuvre exclusivement dans l'hédonisme sororal qui correspond au tropisme personnel de son auteur.
.Dans les premiers portraits, et autoportraits qui jalonnent son oeuvre, se mêlent classicisme et modernité avec une palette en camaïeux de gris, bleus et ocres, cernés de noirs, qui la situe en symétrique de Van Dongen.
Après le chromatisme plus chaud de la période espagnole lors de son exilibérique, son style va se consolider dans un registre proche du maniérisme avec une palette subtile en camaïeux pastel, le bleu, le rose et le vert, le blanc et le noir, empruntée à la peinture française du 18ème siècle.
La touche en aplats, l'absence de perspective et le floutage des figures favorisent un rendu proche de celui de l'aquarelle en adéquation avec un univers pictural inspiré du symbolisme poétique en vogue à l'époque qui est celui d'un monde idéal et idéalisé de sensibilité artiste et poétique, de tendresse, de grâce, de rêverie et de sensualité exaltant les plaisirs saphiques.
Ce qui nimbe les portraits de commande, qui transforment toutes les femmes en princesses à la beauté intemporelle, trouve sa plénitude expressive dans ses compositions de fantaisie qui constituent une ode à l'Eternel Féminin, déclinaisons récurrentes d'une figure féminine archétypale et narcissique.
Chevelure mousseuse, teint translucide, visage triangulaire aux traits floutés, grands yeux noirs en amande et bouche vermeille, corps gracile de sylphide, parées de rubans, de plumes et de voilette et accompagnées de tendres petits compagnons que sont les bichons, les biches et les colombes, telles sont les femmes laurenciniennes que le poète Francis Carco nommera "les belles énamourées".
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