Comédie dramatique de Marcel Aymé, mise en scène de Lilo Baur, avec Véronique Vella, Alain Lenglet, Florence Viala, Serge Bagdassarian, Nicolas Lormeau, Clément Hervieu-Léger, Félicien Juttner et Laurent Lafitte.
L’auteur sulfureux de "La jument verte" et d’"Uranus"est à l’affiche de la Comédie-Française et c’est un événement.
Un pays imaginaire d’une Europe imaginaire : la Poldavie, à la fin de la dernière guerre. Cela ressemble furieusement à la France épurée qui a connu un intense recyclage de ses juges.
Dans une famille de la bourgeoisie - brave petite femme proprette, enfants aimants, amis d’un niveau inférieur - on attend le retour du Grand homme, papa et procureur qui vient d’obtenir une garniture pour le panier. Tout le monde baigne dans le bonheur, même si ce bain est du sang d’un futur décapité. Hélas, la soirée vire au cauchemar : le guillotiné s’est fait la belle, il est innocent et son alibi est périlleux : il a passé la nuit du crime dans les bras de la respectable femme d’un haut magistrat de la ville. D’une belle personne, que chacun connait…
Farce terrible contre la mascarade judiciaire, la peine de mort - dure et tranchante, à l’époque, reconvertie en mort lente carcérale - cette "Tête" provoque, attaque, mord, déchiquète avec frénésie. Tout y passe : la respectabilité, la morale, la raison d’état ou celle du plus fort, la perversité des juges. Politiquement correct garanti et obligatoire. Le rire dévaste tout, comme un lance-flammes.
Le metteur en scène, Lilo Baur, femme intuitive et fort douée, a réuni une des plus belles troupes imaginables.
Alain Lenglet et Nicolas Lormeau campent deux abominables magistrats sanguinaires et corrompus, l’un singeant un "condottiere" cynique et veule, l’autre, affublé d’un rire retenu de sadique, cocufié par récidive par sa femme, la sublissime Florence Viala, vamp de la "Haute", glamour et vénéneuse, véritable étoile de cinéma des années cinquante.
Le malheureux innocent, c’est Laurent Lafitte, recrue atypique et comédien puissant, émouvant de force et de pureté, face à ces monstres décorés et vertueux. Mention spéciale à Véronique Vella, épatante, comme toujours, en parvenue malheureuse et encore tendre, qui a un cœur sous le collier de perles.
Deux gestapistes reconvertis, hyènes sifflantes, exécuteurs des basses œuvres, sont incarné par Clément Hervieu-Léger, inquiétant, et son acolyte Félicien Juttner. Enfin, Serge Bagdassarian, phénoménal dans le rôle d’une crapule politico-industrielle, apporte une touche ubuesque et annonce une fin effroyable, feu d’artifice du cynisme de Marcel Aymé, anarchiste de droite et contempteur de la bien-pensance. La lumière de Gwendal Malard (magicien de Pommerat, entre autres) invente et illumine. Bravo.
Spectacle de haute volée, dans la lignée féroce des "Affaires sont les affaires", en pire, cette "Tête des autres" est un coup de tête et un coup de cœur. Son énergie est irrésistible. |