Comédie dramatique de Véronique Boutonnet, mise en scène de Richard Arselin, avec Véronique Boutonnet et David le Roch.
"Chiens d'amour". L'affiche, une silhouette féminine assise dans une pièce vide, un arrêt sur image à la Hopper. Une partition ciselée de Véronique Boutonnet : minimalisme textuel, sans psychologisme, et situation dramatique au dénouement irrésolu.
Un homme, une femme, un couple, un huis clos. Il y a quatre ans, trois heures ont suffi à créer une faille temporelle qui a fait basculer leur destin et fracassé leur vie. Mais rien n'a été dit. Et l'amour ? "Vous ne savez pas ce que c’est que l’amour". Et après ? "Nous échangerons cette vie contre une autre".
Lui, miné par le doute, ressasse. Elle, elle sait et dit avoir oublié. Inspirée tant pour l'écriture que pour l'intrigue par des nouvelles de l'écrivain américain Raymond Carver, dont "Will you please be quiet", cette autopsie d'un couple enlisé dans une impasse verbale sur fond de désespoir existentiel est d'une intensité bouleversante qui, dans la mise en scène de Richard Anselin, est une réussite absolue n'appelant ni critique ni réserve.
Par l'utilisation judicieuse des volumes architecturaux du Bouffon Théâtre qui permettent de délimiter trois espaces scéniques et une scénographie pertinente - décor à peine suggéré, jeu subtil de lumières et bulles musicales appropriées dont la chanson "We No Who U R" du dernier album en date de Nick Cave and the Bad Seeds - qui permet de poser, par des emprunts intelligents à la grammaire cinématographique, l'atmosphère claustrophobique de désespoir "tranquille", mélange de mélancolie tchekhovienne et de désenchantement, dans laquelle le couple se bat se débat.
Il procède également à une belle direction d'acteur avec deux comédiens exceptionnels confrontés à l'exercice le plus ardu de leur métier, qui devient alors à un art, celui qui consiste à aller au-delà des mots, ces pauvres mots.
Avec un jeu exemplaire dans le registre de l'hyperréalisme minimaliste et du tourment intérieur qui ne parvient ni au dire ni à la résilience, Véronique Boutonnet et David le Roch réussissent une performance exceptionnelle.
Ils incarnent magistralement, avec justesse et rigueur dans l'utilisation de leurs moyens, une grande leçon de théâtre, à incarner les deux protagonistes qui sont tant des figures sublimes de la douleur amoureuse, à la fois en miroir et en symétrie, que des individus tristement ordinaires en proie à la déception, la culpabilité et la rancoeur placés dans le champ de l'incommunicabilité.
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