Comédie dramatique de Luigi Pirandello, mise en scène de Marie-José Malis, avec Pascal Batigne, Sylvia Etcheto, Olivier Horeau, Sandrine Rommel et Victor Ponomarev.
C'est une pièce peu connue que cette oeuvre du dramaturge italien. Deux couples d’amis. Pendant une escale de l’un des hommes, marin, le voile se déchire : l’adultère a été consommé dans ce cercle de confiance. L’autre homme, glissant vers l’acuité et donc la folie, va mettre la vérité à la Question.
Les femmes aiment et observent, masquées, douloureuses, minérales. La Réalité se désagrège comme un brouillard devant le soleil.
Luigi Pirandello, marié à une folle qu’il aimait, a souvent décrit le travail du délire, sa danse de lierre, sa voracité et sa logique. L’Homme sans Dieu connait ce douloureux entretien sans fin avec sa raison, qui ne prendra fin qu’avec sa mort. Il invente une quiétude matérielle qui demande le plus strict silence. Malheur à celui qui parle car le Fou n’est plus rien dans ce monde réglé et protégé du divin.
"On ne sait comment", texte d’une force inouïe, à la mesure de celui qui rompt la paix, la pièce déroule ses anneaux, se répand sur la scène, étouffe un personnage, le recrache. Tout cela dans un calme amical que ne blessent que les cris du Dément. Les dames, quant à elles, bien vêtues, élégantes, coiffées, vertueuses, parcourent la scène en soupirant et en attendant l’accalmie.
Marie-José Malis, le metteur en scène, a fabuleusement réglé ce ballet de fuites et de poursuite. Ponctuant l’action de musique religieuse, de piano doux, du chant langoureux des "Pêcheurs de perles", elle rappelle l’exclusion à la bordure de la spiritualité, du Vieux-Monde, de l’enchantement.
Plus terrible encore en apparait la douceur de vivre petite-bourgeoise, éducation précoce au mutisme des tombes. C’est très beau, très émouvant. Et quelle troupe, quel niveau que ceux de la Compagnie La Llevantina !
Olivier Horeau, Roméo le fou, est un comédien superbe, inquiétant, défiant le public, faux calme à détente de guépard, qui incarne, sans faiblesse, cet homme glissant, magistral, embrasé. Victor Ponomarev, le marin, est un géant de tendresse et de failles, vrai ami, tandis que sa femme, Sandrine Rommel, méridionale somptueuse de la race des statues souriantes, impénétrable et troublante, est parfaite.
Quant à la femme du Fou, Sylvia Etcheto, religieuse aventurée dans le mariage, fanatique de douceur et d’écoute, elle émeut dans ses silences, sa densité, ce qu’elle sait et ne dit pas : Bravo. L’apparition de Respi (Pascal Batigne) est truculente et presque "bouffonne", à l’italienne : il n’est pas du cercle, celui-ci…
Qu’il y ait tant de qualité, de talents, d’imaginer des répétitions sous les étoiles et le silence rompu par les grillons - la troupe vient du Sud extrême - et d’offrir cette excellence à toute la France (Paris et tournées) remue l’âme pas encore trop blasée.
Spectacle magnifique, simplement. |