Enfin un samedi rien qu’à moi pour me plonger dans la lecture. J’ai choisi un roman au titre prometteur : C’est une occupation sans fin que d’être vivant, un titre symbolique à la touche poétique, et dès le début du roman, la musicalité des mots vient me caresser l’oreille.
Bien que l’histoire s’ouvre sur le meurtre du personnage principal, Anna Mott, étranglée lors de son jogging matinale, la manière de construire le récit tient plus de la prose poétique que du roman policier. On ne sait pas trop où l’auteur cherche à nous mener, présentant tour à tour le portrait du frère d’Anna, Edgar, jeune homme au "je ne sais quoi" de romantique dans sa santé fragile traversée de rêves d’écriture, et ses parents, Mathilde et Valentin, des petits commerçants dont le portrait n’est pas sans rappeler la caricature des bourgeois de Balzac.
Puis vient le flashback, et je comprends que l’histoire sera celle de la vie d’Anna, qui après s’être éteinte à 40 ans sous les doigts d’un meurtrier, renaît dans la chambre de sa mère. Anna qui dès son premier souffle est "pétillante et déterminée" (page 38). Anna, un prénom qui coule et glisse, un prénom que j’affectionne de part mon attrait pour la littérature russe.
Dès sa naissance, marquée par le doux regard de son père et l’’indifférence de celle que l’on nomme "la duchesse", Anna est bercée par un manque d’amour et un mal de vivre qui la laisseront toujours un peu hors du monde et des gens. Et puis cet événement terrible, en fil rouge tout au long de sa vie brève, la mort de son jeune frère Noé, qui entraînera son exil de la famille et le rejet de sa mère. Edgar naîtra quelques années après, comme pour compenser la perte du premier fils, un enfant marqué lui aussi, non par le vide mais par l’excès d’attention.
Placée chez une cousine lointaine à Paris, Anna se reconstruit dans cet univers coloré et sous le regard bienveillant de Luce. Célibataire, entière, gourmande de la vie et des hommes, Luce semble rayonner de ce "plein" qui manque tant à Anna. Elle trouvera auprès d’elle un point de repère qui lui permettra de s’ouvrir un peu à la vie. Elle trouvera un travail, un appartement, accueillera ce frère inconnu qui lui vouera une admiration sans faille, et pourtant, malgré cette volonté et cette détermination de toucher à la vie, Anna semblera toujours un peu en dehors. Entre lutte et amertume, les extraits du journal de la jeune femme, parsemés à la fin du roman trahiront cette volonté vaine de ne pas lâcher et de "coller" à la vie. Il y a quelque chose d’existentialiste dans la manière dont Anna tente de se saisir de sa destinée et de faire le choix d’être au monde, et en même temps s’oppose à cette volonté, à cette "occupation sans fin que d’être vivant", cette faille, ce manque initial : le rejet maternel.
Ce roman est une fenêtre ouverte sur un morceau de vie, une peinture dessinée avec talent à travers un style fluide, concis, efficace et très poétique. C’est un roman du souffle également, Anna, qui aura mis toute sa détermination à respirer en s’abandonnant au monde s’éteindra étranglée, à bout de souffle. |