Monologue dramatique d'après l'oeuvre éponyme de Franz Kafka dit par Erik Stouvenaker dans une mise en scène de Jack Garfein.
Attention ! Le personnage qui est en scène n'est pas un humain. Non, c'est un singe qui, à force d'effort contre sa nature simiesque, est devenu un humain.
Un humain presque plus qu'humain qui n'a cependant pas oublié sa condition passée et peut être, à tout moment, saisi par le vertige de l'avoir quittée. Alors, il n'hésite pas à montrer l'impact des balles humaines sur sa peau de singe ni à revendiquer son odeur d'avant.
Kafka a écrit un texte une nouvelle fois où se pose le problème de l'être et de ses métamorphoses. Dans son discours, monologue où derrière sa grande maîtrise de soi se lisent quelques pointes d'émotion et de colère, le singe-homme décrit avec précision les étapes de sa singulière mutation.
Pour donner toute sa force au texte de Kafka, Jack Galfein a joué la carte de la simplicité. Son acteur porte un habit du dix-neuvième siècle avec un chapeau haut de forme et une canne à pommeau. Il pourrait être à la fois un Jekyll ou un Hyde, un Dorian Gray ou quelque autre personnage issu de la littérature fantastique anglaise.
Sur la scène, derrière un tableau où sont dessinées à la craie un singe et tout un tas d'indications, de calculs et d'équations, un bureau conforme à cette époque et, à gauche, un long meuble qui pourrait être un élément d'un prétoire et derrière lequel sont supposés être rangés les éminents académiciens.
Le singe-homme prend son temps, dépose derrière un autre élément, cette fois-ci à droite de la scène, chapeau et canne, ainsi que son manteau. On est juste face à une affiche avec une tête dessinée tentant la synthèse des traits humains et des traits du chimpanzé. Dans ce contexte, voilà le singe-homme prêt à commencer son plaidoyer pro domo.
Eric Stouvenaker a la voix chaude, passionnée, parfois courroucée, souvent étonnée par les souffrances physiques qu'il a vécues et qu'il transcrit dans une langue châtiée, précise, jamais geignarde, toujours soucieuse du détail juste. Sa barbe noire est fournie sauf en sa moitié, où elle semble couper en deux par un épais trait rouge. C'est la marque d'une blessure par balle et la preuve patente de la véracité de son histoire et qui contribue à lui donner son nom, "Pierre Le Rouge".
On sait que Jack Garfein a enseigné la "Méthode" à l'Actor's Studio. Mais il a guidé Eric Stouvenaker vers une recherche de la vérité de son personnage qui n'est pas passée nécessairement par la voie de l'intériorité. Le jeu de l'acteur belge est très retenu, jamais excessif ni chargé.
Grâce à "Un compte-rendu pour une académie", titre qui ne doit pas décourager les spectateurs avides de beaux textes et de mises en scène limpides, on fera donc la connaissance d'un comédien fin et talentueux.
L'association Galfein-Kafka-Stouvenaker est ainsi l'occasion d'une proposition de théâtre à la modestie ambitieuse. Avec un texte quasi-philosophique sur la condition de l'homme, Jack Garfrein donne de quoi réfléchir sans tomber dans la leçon, et Eric Stouvenaker de quoi s'émouvoir, sans franchir la ligne du pathos.
Une belle réussite toute en nuances. |