"Brother, my brother is dead in the gutter".
Encore assez peu connue en France, Cheri MacNeil, chanteuse sud-africaine, revient avec un troisième album : Rivonia. Un troisième opus qui n’est rien de moins qu’un disque concept sur l’histoire de son pays. Un album qui s’inscrit complètement dans la discographie de la chanteuse, les chansons d’Idealistic Animals, son disque précédent, parlaient déjà de l’Afrique du Sud et portaient chacune le nom d’une créature du bush. C’est depuis son exil à Berlin que Dear Reader fait son travail de mémoire. Loin des yeux, plus proche du cœur.
Rivonia est le nom d’une banlieue de Johannesburg où furent arrêtés en 1963 des membres d’Umkhonto We Sizwe, branche du Congrès National Africain (ANC). Suivit un procès où l’état sud-africain utilisa pour la première fois les pouvoirs que lui conféraient les lois de 1960, frappant d’interdiction le Congrès National Africain et le Congrès panafricain (PAC), pour arrêter et poursuivre en justice les dirigeants de la principale organisation interne anti-apartheid engagée dans la lutte pour une Afrique du Sud démocratique. Ce fut l’occasion pour Nelson Mandela de proclamer, depuis le banc des accusés, à l’adresse de l’ensemble de la population, les intentions et objectifs de l’ANC. À l’issue du procès, Nelson Mandela et d’autres dirigeants furent emprisonnés à Robben Island et dans d’autres lieux de détention jusqu’à leur libération en 1990. Cette pierre angulaire de l’histoire de l’Afrique, et de la vie même de Cheri MacNeil, puisqu’elle a passé 11 ans dans une école non loin de la ferme isolée, Liliesleaf, où s’est déroulée l’arrestation, va servir de base à sa musique folk sensible aux architectures pop.
"White and black together sat / I just stood and stared / How was I to know what it all meant ?"
Dear Reader évite les écueils et pathos inhérents à ce genre de sujet plutôt risqué. La chanteuse sud-africaine parle d’elle-même à travers les drames du passé, travaille les atmosphères variées et sophistiquées rappelant celles de Fiona Apple, ou de Joanna Newsom, fait osciller sa musique et ses mélodies, entre légèreté (les premiers titres), intensité et gravité ("Victory" à donner des frissons). Chaque chanson raconte un moment, une partie de l’histoire, surtout centrée autour de Mandela et de manière plus ou moins personnelle. Loin d’un catalogue de faits et d’un prosélytisme politique, l’album fait plutôt penser à un cabaret sauvage, une échappée belle où se mêlent une chorale (ce qui n’a rien de surprenant, la chorale étant une pratique prépondérante dans la vie musicale sud-africaine entre chants religieux, polyphonies vocales zouloues et chant des travailleurs migrants), instruments (cordes, piano, trompette) apposés en touches éparses.
A noter les collaborations quatre étoiles de Martin Wenk (trompettiste de Calexico), Earl Harvin (batteur des Tindersticks) et de Konstantin Gropper (Get Well Soon). Beau, parfois gracile, souvent intense, mais toujours beau. |