Création collective des Chiens de Navarre, mise en scène de Jean-Christophe Meurisse, avec Caroline Binder, Céline Fuhrer, Robert Htisi, Manu Laskar, Thomas Scimeca, Anne-Élodie Solin, Maxence Tual et Jean-Luc Vincent.
La Compagnie Les Chiens de Navarre investissent les Bouffes du Nord avec un nouveau spectacle déjanté et trash, "Quand je pense qu'on va vieillir ensemble".
Avant d'être un "animal raisonnable", tel que l'exprimait Aristote, l'homme est une réserve d'énergie, un animal qui agit. Ces actions, réfléchies ou non, calmes ou violentes, sont à la source de l'évolution. Or, où en est l'espèce humaine aujourd'hui ?
A se foutre sur la gueule dans une bagnole pour avoir oublié de tourner au bon endroit, à apprendre à se comporter lors d'un entretien d’embauche pour devenir le parfait petit larbin d'un encore plus petit chef, à accepter de perdre son identité pour enfouir son moi et calmer les grands écarts émotionnels entre ambitions et réalisations quotidiennes?
Comme animal, l'Homme va chercher à perpétrer l'espèce, se reproduire, rester en vie, se nourrir et survivre. C'est pourquoi les humains, comme les chiens, se baladent à poil à quatre pattes, jouent avec leurs organes génitaux ou se reniflent le cul, qu'ils mangent, qu'ils vomissent ou qu'ils pissent. Les comédiens de la troupe des Chiens de Navarre jouent donc tout cela sur scène.
Mais l'humain se caractérise surtout comme un animal social qui établit des relations avec les autres membres de l'espèce. Pourtant lorsque la société devient de plus en plus déstructurée, et que celle-ci au lieu de protéger l'Homme peut aller jusqu'à le laisser au sol, couvert de boue, loin d'une participation au bien commun, comment trouver sa place dans le groupe ?
C'est le besoin de dominer l'autre, de lui faire perdre son libre-arbitre, qui dans une société en perte de repères, violente comme au temps des cirques romains, et de plus en plus individualiste, va déboucher sur des stratégies de dominations variées : la force, la manipulation, voire la négation de la personnalité d'autrui.
La meute des Chiens de Navarre va durant toute la durée de "Quand je pense qu'on va vieillir ensemble" montrer à quel point l'homme est toujours, aujourd'hui comme hier, un loup pour l'homme. Avec un humour féroce, ils démontent par saynètes des scènes de la vie quotidienne actuelle.
Chaque épisode, débuté dans un esprit d'unité et d'entraide dérapera sans faillir vers l'immonde, le pervers, l'humiliation, le dégueulasse : un couple d'animateurs d'une thérapie de groupe, aux méthodes proches du sectaire, rebaptisent et nient chacun des participants, un conseiller de pôle emploi préparent des chômeurs à un entretien d’embauche en les formatant jusqu'à ce qu'une histoire de mains moites et de papier toilette vienne s'insérer dans un discours trop bien huilé, une femme en voiture se fait frapper par son compagnon et monter dessus par son chien, ou encore, lors d'une séance de régression vers l'enfance, une femme redevenue une petite princesse examine avec attention son "lapinou" qui joue à l'hélicoptère avec sa queue.
Le ton est féroce mais surtout salement drôle, désabusé mais d'abord violemment ironique, constamment dans l’excès mais avant tout outrageusement truculent. La troupe a trouvé son public, de plus en plus important à chaque spectacle. Le bouche à oreille fonctionne pour ces post-punks d'un théâtre no future.
Élevant la bêtise humaine au rang d'art, désarmant d’honnêteté, sans limites, la troupe des Chiens de Navarre est un collectif à découvrir absolument, et "Quand je pense qu'on va vieillir ensemble" une pièce à ne manquer sous aucun prétexte. |