Cher Dominique A,
Ce soir là, mon dernier concert était le tien. Tiens ? C’était donc ton dernier ? Pour combien de temps ? Un temps soit peu mais assez pour manquer quelques concerts, longtemps. Non, ce n’est pas toi qui me fais sortir des coins sombres de la scène. Et ce chemin musical faisant – est-ce parce que je savais que c’était the last, hélas – une certaine pression s’insinuait peu à peu en moi, jusqu'à l'éclatement d'un terrible questionnement. Après ton concert, véritablement généreux, j'en étais là : mais comment faire ?
Dominique A, oh toi, tant adulé que dis-je adoré par tes admirateurs. Ce soir là, pendant que tu allongeais, apportais, adressais tes airs, j’appréciais le nombre d’âmes, avides de A. Les A-philiens s’amassaient dans la salle, absolument absorbés.
Au milieu d’eux, j’avoue je me disais : Dominique A., qu’est-ce qui fait, qu'aujourd'hui, tu es tant aimé ? Je ne sais pas. Mais en lisant çà et là tes écrits, tes bibliographies et autres wikis, cela faisait longtemps que tu parcourais les routes, que tu travaillais sans relâche, que tu commettais des travaux "d’écriture" et neuf albums – de plus en plus recherchés, travaillés, intimes. Un jour, dans les années 90 chez Lenoir, ton premier album faisait l’effet d’une bombe, encensé ou démonté. Tu continuais. Puis plus rien. Et 20 ans plus tard, les reconnaissances tombent. Ca fait du bien. Tu l’avoues ?
Tant aimé ? Je m'interrogeais tout bas, de peur de froisser les gens. Tu t’imagines, douter de toi, devant un fan A-bsolu ? Ce serait suicidaire. Ce serait A-pocalytique ! Je me serais peut être fait A-llumer, comme dans cette vidéo – hilarante je l’avoue – "Arcade fire hipster attack". Non ! Dominique A, ne détourne pas tout de suite tes yeux de mon modeste papier. Mon souhait n’est pas de te barbouiller le portrait de ton concert passé.
Je t'ai trouvé homme d'une grande générosité. Tu aimes ton public jusqu'à leur donner tout ce que tu as, tout ce que tu es. Les morceaux, tu les interprètes, possédé, oscillant frénétiquement de tout ton corps, comme si tu donnais un peu de toi à chaque mot, cherchant la justesse de ton bras. La fin approchait et tu ne voulais pas partir, retenu par les applaudissement, l’envie de donner encore. A l’heure où les concerts sont devenus standardisés, où deux rappels sont devenus conventionnels, ton quatrième rappel était exceptionnel.
Durant les morceaux, je m'étonnais par l'énergie que je déployais pour écouter tes mots, contrairement à mes habitudes musicales. Je te soupçonne d'avoir un certain pouvoir sur eux. Tu les délivres et ils nous absorbent. Je me sentais obligée d’y plonger, d’en comprendre la forme, d’en chercher la substance. Alors, j’y voyais des paysages à perte de vue, des histoires d'hommes, de femmes, tes histoires, tes peines, tes peurs et tes dénonciations. Tout cela était concentré en quelques images, quelques mots longtemps choisis, finement travaillés.
Pour autant, ton accompagnement était tout aussi recherché. D’influence rock, la musique générait de multiples impressions : sèche, interrogative, noire, dépressive, aérienne, étirée, abyssale. Une force dans l’atmosphère décochait les mots sans les tourmenter. J’avoue que j’ai été autrement surprise en me plongeant dans les albums studios, notamment Vers les lueurs, imprégné d'une musique plus forte, plus orchestré, plus fleurie.
Mais pourquoi ? J'ai mis longtemps à me rendre compte de ce qui ne m'allait pas. Malgré toutes les belles choses qu'on peut lire sur toi, je n’accroche pas Dominique A. Oh j’ai bien pris goût à écouter "L’Horizon", le célèbre "Courage des oiseaux". Mais... cette voix approximative, étirée, égrainée me tiraille. Ces phrases entrecoupées me mettent trop en haleine. Ce chant anorexique me désanime. J'ai écouté, écouté et écouté mais dans mes tympans, cela ne rentre pas. Je n'accroche pas. Pas ce concert en tout cas.
Cher Dominique A. Je ne continuerai pas plus que ça. Tu traceras bien ta route, sans moi ni d'autre. Tu as cette humilité, cette amour de la musique, cette envie de faire différent. Tu as "ce courage des oiseaux qui chantent dans le vent glacé".
En première partie, Suel / Pruvost / Ternoy Trio se demandait comment débuter avant le tant attendu A. Je basculais très vite dans un monde parallèle en voyant arriver l'un des musiciens, jouant d'un étrange instrument. Il avait l'allure d'une corne qu'il promenait au-dessus du public. Des sons graves en sortaient. On entrait dans les abysses... de la poésie ? Du slam ?... tant par la musique que par les mots.
Alors que les musiciens brossaient des tableaux fantasmagoriques, le chanteur se mettait à jouer de mots en mots, usant de leur musicalité, de leurs couleurs, les absorbant, les crachant, les jetant, les allongeant, les plaquant. Ce trio régional m'a agréablement surprise, inclassable et déroutant. |