Ma maman n'aime pas que je dise ici du mal des groupes que je vois. Alors Mone, si tu me lis, je te suggère de relancer le dé et de passer direct au paragraphe concernant le deuxième groupe de la soirée.
Parce que oui, enfin non, la première partie, ce n'était pas possible. Elle s'appelle Nomi Ruiz (on a d'abord cru entendre Dirty Louise, et ça lui allait plutôt pas mal), et nous présente sa "mixtape" : Borough Gypsy. Elle entre en scène, vêtue d'une sorte de brocoli cramoisi en soie, lèvres peintes en noir, elle appuie sur un bouton, et ce sera tout pour la musique (sauf un dernier titre à la guitare flamencante, saugrenu) : des boucles, entre R&B et hip-hop d'un intérêt très relatif.
Elle chante d'une voix grave, chaude, pas dégueue, qui se voudrait Neneh Cherry, qui fait bizarrement Mickael Jackson, diction claire, mais flow de rapeuse pas contente, comme on en entend tant ; le tout dans un brocoli cramoisi, qu'on m'explique.
Ah mais, ouh là, elle enlève son épaisseur et se révèle en robe sexy, fendue, rouge glamour, et ondoie, nous montre comme elle est belle sa robe qui suit bien le mouvement ondoyant, t'as vu ? mmm, ma jambe nue, comme elle est belle, comme je suis trop belle. Et la musique ? Le contenu ? L'épaisseur ? Ah oui, pardon, je m'oublie un peu, ben je vous parle que je suis pas un objet, quoi, zut. Hun huuunnn. Mais nous on ne sent rien, il ne se passe rien. Elle s'agite et s'agite, on l'imagine bien dans un trip arty, mes idées-mon art-ma revendication, et on s'ennuie.
Grâce à l'internet, on apprendra que Nomi Ruiz est trans et qu'elle a semble-t-il une importance non négligeable aux Etats-Unis pour les gens qui soutiennent les mouvements LGBT. On comprend que pour eux ça veut dire beaucoup, mais c'est peut-être un détail pour nous.
Viennent ensuite les CocoRosie. Je craignais un peu de devoir censurer à ma mère la totalité de ce report, redoutant un univers infantile, mutin, gnan gnan. Mais non, on peut lire sans crainte. Les soeurs Bianca et Sierra Casady viennent de sortir leur cinquième album, Tales of a Grass widow, et à l'écoute de leur set, il est très cohérent avec le reste de leur oeuvre : un onirisme peuplé d'étoiles, d'épouvantail, avec pour décor une harpe bleue et un jeune type au beatbox. Pas de plateau surchargé baroque, juste elles deux et leurs trois musiciens, et quelques vidéos, dont certaines en direct, traficotées sur place.
Elles : deux tonalités. L'une Sierra, à la harpe, aux longs cheveux, long jupon sombre, maillot jaune fluo, voix de soprano cristalline, entre en scène ornée de luminions. L'autre, Bianca, entre voilée de noir, pantalon saucissonné doré, tatouages de gribouilles, à la flûte et à la voix de toute petite fille qui nous raconte des histoires pour ne pas dormir, pour se donner du courage et faire sien ce monde des monstres qui est le nôtre.
Cette voix qui fait la marque du groupe, peut aussi en être le point faible (sur album, c'est parfois proche du nasillard, c'est dur de tenir la longueur), mais ici c'est presque l'intérêt essentiel. Sans elle, le reste est quand même moins intéressant. Et ce qu'on redoutait trop naïf se révèle teinté de noir, il y a comme une angoisse sourde, une incertitude essentielle, qui repose presque, qui permet de connecter.
Déjà 10 ans que le groupe existe. Ce qui est bien avec les mauvaises graines, c'est leur obstination. D'une façon ou d'une autre, une odeur évocatrice, une fleur inattendue, ou parfois le contraste avec la flore environnante, avec le temps, on se dit que c'est bien que ça soit là, aussi, même si on n'en fera pas un bouquet.
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