Réalisé par Asoka Handagama. Shri Lanka. Drame. 1h44. (Sortie 10 juillet 2013).
Avec Dharsen Dharmaraj, Subashini Balasubramaniyam et Niranjani Shanmugaraja.
Du cinéma de Sri Lanka, on ne connaît pas grand-chose, sauf le nom de Lester James Peries, considéré comme "le Satyajit Ray de Ceylan", et qui valait largement son contemporain indien.
En sait-on plus sur un pays qui s'appelait jadis Ceylan et qui, depuis 1972, a pris le nom de Sri Lanka ? Un nom féminin que tout le monde s'obstine à croire masculin.
En lisant ces lignes, on aura au moins appris quelque chose : "le Sri-Lanka" est une hérésie, comme si on disait "La Togo" ou « Le Suède"...
On apprendra aussi que "la guerre est finie", cette guerre ethnique meurtrière dont on entendait parfois parler parce que les combattants tamouls portaient le nom évocateur de "Tigres" et que, quelquefois, dans une capitale occidentale des exilés tamouls et cinghalais s'entretuaient.
Cette guerre, partout présente dans les silences et les non-dits du film d'Asoka Handagama, aura fait au moins 100 000 morts et se sera achevée par la victoire (provisoire?) des forces gouvernementales sur les séparatistes tamouls.
Dans "Ini Avan, celui qui revient", l'action se déroule dans la province de Jaffna, une région habitée majoritairement par les Tamouls et qui fut longtemps contrôlée par les Tigres.
C'est justement l'un d'entre eux, celui qui n'a pas de nom et que l'on appelle "Ini Avan", c'est-à-dire "lui", qui rentre au pays après avoir purgé une peine de deux ans de prison où il a été « rééduqué ».
C'est un homme au physique puissant, le visage dur, déterminé, avec une expression de colère rentrée, qui fait face à la caméra. C'est un vaincu mais un homme droit, sûr de son bon droit, que l'on sent pétri d'intransigeance, que l'on imagine capable d'actes impitoyables.
Le revoilà donc parmi les gens qui lui obéissaient du temps où il était un Tigre. Les lâches le craignaient, aujourd'hui ils osent lui exprimer leur dédain, leurs rancoeurs.
Sans doute issu d'une grande famille, il a quelque chose d'un aristocrate altier. Il dégage une noblesse qui rend encore plus méprisables le comportement de ceux qui ont accepté la défaite.
Asoka Handagama, qui signe avec « Ini Avan » son septième film, appartient à la majorité cinghalaise, mais il prend le parti des vaincus, tourne dans leur langue ce film qui, dans sa seconde partie, devient un thriller montrant l'emprise des mafieux dans un pays à la fois en pleine reconstruction et en pleine déliquescence social et politique.
Le héros découvre peu à peu les trafics, les injustices qui gangrènent son pays vaincu aux mains des profiteurs, parmi lesquels il retrouvera des anciens compagnons de lutte ayant perdu leurs idéaux. Asoka Handagama fournit bien des renseignements sur la vie des sri-lankais, sur l'extrême pauvreté de certains et sur l'enrichissement sans scrupules d'autres.
Il dessine de beaux portraits de ceux qui restent en colère, comme le héros ou cette femme mère-courage qui cherche à sauver sa famille de la misère quand son mari vigile perd son travail.
Son message est clair : cet après-guerre n'est peut-être qu'un trompe l'oeil, une pause, l'amorce d'une "avant-guerre" qui conduira à de nouveaux affrontements.
Ce film maîtrisé, pétri de qualités esthétiques, est une prise de parole politique qui énonce clairement qu'il faut très vite passer de la paix subie à la réconciliation.
Avec "Ini Avan, celui qui revient" d'Asoka Handagama, le cinéma retrouve sa vocation d'alerte et de témoignage qu'il a souvent perdu. Évitant les pièges didactiques de certains films dits du "Tiers Monde", c'est aussi un excellent spectacle qu'on peut regarder sans trop se soucier de son lourd contexte.
On peut donc raisonnablement affirmer qu'Asoka Handagama est un auteur moderne et efficace dont il faudra désormais surveiller l'oeuvre. |