Comédie dramatique de Hjalmar Söderberg, mise en scène de Hélène Darche, avec John Paval et Sofia Maria Efraimsson.
Dès qu’il entre en scène, il se passe quelque chose. Élégant, bienveillant, jovial, presque sautillant, le Docteur Glas monologue en regardant parfois en direction des spectateurs.
Son cabinet cossu, avec un canapé, quelques fauteuils et une table où il rédige son journal intime et ses ordonnances, confirme toutes les qualités qu’on lui suppose d’emblée : chaleureux, compréhensif, attentionné, s’étonnant de tout ce qu’on lui confie, de tout ce qu’il découvre de l’âme humaine.
Avec une flamme qui ne s’éteindra pas, John Paval donne au médecin suédois, passé complètement à côté de sa vie amoureuse quoique débordant d’amour, une formidable force tragique. N’ayant pas vécu, il est confronté en permanence à la vie des autres, avec le pouvoir suprême, celui d’en changer le cours.
En ce tout début de vingtième siècle, dans la Suède encore sous l’emprise d’une église protestante rigoriste défendant le modèle patriarcal, commencent à apparaître les prémisses d’une nouvelle société, plus libre de mœurs et garantissant des droits égaux aux femmes.
En prenant fait et cause pour Helga Gregorius, épouse malheureuse du pasteur Gregorius, le docteur Glas s’emporte contre le machisme dominant, mais cette femme qu’il libère sera aussi celle qui, sans même le savoir, l’emprisonnera dans un amour impossible.
Hjalmar Söderberg reprendra cette thématique dans son chef d’œuvre, écrit un an après "Docteur Glas", "Gertrud", pièce qui permettra au grand cinéaste danois, Carl Theodor Dreyer, de réaliser lui aussi une variation inoubliable sur un amour pur qui ne pourra jamais se réaliser.
Dans son adaptation de "Docteur Glas", roman monologué, John Paval s’est rapproché de "Gertrud" en introduisant sur scène le personnage d’Helga Gregorius, dont la présence dans son cabinet paraît souvent plus rêvée que réelle. On soulignera la délicatesse des scènes entre John Paval et Sofia Efraimsson, frémissante dans le rôle d’Helga.
Leur face à face ne peut que bouleverser. Même si la Suède de 1905 ne s’y prêtait peut-être pas, on osera parler de romantisme, un romantisme noir que la mise en scène d’Hélène Darche sait exacerber.
Alternant lumière, pénombre et obscurité, emportant le spectateur sous des torrents de musiques poignantes, Hélène Darche a su peu à peu faire monter la tension du récit. Chacun, désormais, comprend et partage les dilemmes moraux d’un docteur idéaliste, qui a le pouvoir de vie comme celui de mort, et qui n’a pas ou plus le droit d’aimer.
On n’oubliera pas la prestation de John Paval, dont le soupçon d’accent américain renforce le charme d’une voix toujours interrogative qu’il sait utiliser autant pour chanter, pour s’emporter ou pour rassurer. On lui saura aussi gré d’avoir su transformer un texte qui s’inscrivait dans une réalité datée en une pièce intemporelle porteuse de sentiments universels.
"Docteur Glas" est donc, d’ores et déjà, un des spectacles qui marquera la saison théâtrale 2013-2014. |