Monologue conçu et interprété par Christian Pageault avec la collaboration artistique de Isabelle Jobard, Bernard Guiyollot et Jacques Brucher.
Il y a un mystère "Girardot de Nozeroy" qui frappe d'emblée : comment une telle plume, un être aussi singulier, a-t-il pu échapper à l'histoire littéraire ? Comment des générations de spécialistes "dix-septièmistes" ont-elles pu passer à côté de ce qui va être une révélation pour de nombreux spectateurs ?
On sait, par exemple, que Stendhal a fait beaucoup pour la connaissance - encore secrète - de l'abbé de Saint-Réal et on se demande pourquoi il n'a pas fait de même pour le sieur Girardot de Nozeroy, qui s'inscrit dans la même lignée que l'auteur de "La Conjuration des Espagnols à Venise".
C'est donc tout à l'honneur de Christian Pageault d'avoir rassemblé les pages éparses de Girardot de Nozeroy, de leur avoir donné une cohérence indiscutable et de les mettre au grand jour sous la forme d'une "conférence théâtrale" consacrée aux "Écrits de Monsieur Girardot de Nozeroy".
Seul sur scène, assis dans la pénombre austère de ce qui reconstitue avec quelques éléments le grenier où, retiré d'un monde de sang et de fureur, il écrivait, Girardot de Nozeroy, interprété par Christian Pageaut, va lire, ponctué par une musique imaginaire, sept chapitre de ses "Écrits" sous-titrés "Des ré-épousailles d'avec son corps".
L'homme aux grands cheveux noirs est couvert d'un grand manteau noir d'où apparaît son torse nu. Un instant, on pourrait l'imaginer imprécateur, sarcastique, préfigurant de trois siècles un Antonin Artaud, mais ce qui fait face au spectateur c'est, au contraire, un être bienveillant habité par tous ses pores d'une philosophie qui fait mouche à chaque mot.
Il faut dire qu'il vit et pense dans la Franche-Comté occupée par les Espagnols et convoitée par le Roi de France et par ce fait ravagée par des spadassins et des reîtres passant au fil de leurs épées intraitables les populations civiles. Témoin de toutes ces horreurs, échappant d'un poignard habile à la sauvagerie de la barbare soldatesque, Monsieur Girardot de Nozeroy a l'inouï mérite de concevoir une philosophie d'une étonnante modernité qu'on pourra qualifier, sans trahir sa pensée, de "légumière".
D'une voix chaude et tranquille, avec quelques inflexions ironiques et sans affectation, même quand il chuchote, Christian Pageault est l'idéal passeur pour faire découvrir ce vrai penseur que d'aucuns devraient désormais considérer comme le chaînon manquant entre Montaigne et Pascal alors que d'autres, encore plus audacieux, devraient y voir le prophète annonçant la philosophie de Jean-Baptiste Botul.
Au bout de cette conférence envoûtante, qu'Isabelle Jobard, Bernard Guiyollot et Jacques Brücher ont su incontestablement inscrire dans sa théâtralité, sourd le sentiment d'appartenir à un cercle d'initiés ou de frais convertis prêts à répandre la bonne et nécessaire parole de Monsieur Girardot de Nozeroy. |