Tragédie de Shakespeare, mise en scène de Dan Jemmett, avec Éric Ruf, Alain Lenglet, Denis Podalydes, Clotilde de Bayser, Jérôme Pouly, Laurent Natrella, Hervé Pierre, Gilles David, Jennifer Decker, Elliot Jenicot et Benjamin Lavernhe.

"Hamlet", chef d’œuvre des chefs d’œuvres, fragment de la gloire nationale britannique, la pièce de Shakespeare revient au Français, peu jouée dans un siècle, abordée avec vénération, terreur et excitation.

Le spectre du roi assassiné du Danemark hante les hauteurs du château d’Elseneur. Le fils royal, Hamlet, jeune homme mélancolique et fantasque, apprend soudain que sa mère, Gertrude, a épousé l’assassin de son époux, l’oncle Claudius.

Devenant soudain homme par cette révélation, il laisse exploser sa fureur, tue, dénoue, ravageant le foyer du mensonge et punissant les cyniques. Celle qui l’aime, la pure Ophélie, mourra aussi, victime d’innocence. Les méchants périssent autant que les bons. C’est le prix de la vérité et ce pourquoi elle est crainte.

Devant ce mythe de la littérature, faut-il reproduire, déformer, inventer ? Un anglais, seul, pouvait résoudre cette question et prouver combien Shakespeare est nouveau, éternel et riche de gisements toujours inconnus.

Dan Jemmett a transporté l’action dans les années soixante-dix du siècle dernier, dans un foyer sportif décoré de vieilles coupes en fer blanc, avec une télévision vomissant des commentaires de football, des pochards à patte d’éléphants et favoris, caniches géants et roux imbibés de bière tiède. Horreur ! Horreur et ça marche, du tonnerre de Dieu !

Eric Ruf, le Magnifique, joue maints rôles, dont celui du Spectre, sublime, émouvant, icône de jeunesse éternelle, beau dans la Mort par habitude, dans la Vie. Alain Lenglet, comédien si typique du Français, au phrasé impeccable, à la voix contenue, est Horatio, triste et fidèle témoin du Chœur, suiveur et observateur de l’action.

Hervé Pierre, le régicide, devenu le vulgarissime jouisseur de ses méfaits, incarne Claudius beauf et fourbe, ivrogne qui doit aimer tuer avec son permis de conduire, excellent, odieux, parfait de répulsion et de veulerie. Quelle composition !

La belle Clotilde de Bayser, compose une reine alcoolique, maîtresse de son seul verre de gin, inoubliable, Liz Taylor blonde qui a bien tué son Burton, incroyable de vérité hépatique, de monstruosité maternelle et de férocité carnassière.

Gilles David est Polonius, escogriffe hirsute, touchant, shakespearien en diable, tandis que Jérôme Pouly, remarquable comédien, donne beaucoup de sensibilité à Laërte, frère d’Ophélie. Cette dernière, jouée par Jennifer Decker, bouleverse, portée par la sensibilité et la précision d’une actrice en pleine fusion.

Et puis, il y a un comédien qui a marché toute sa vie vers ce rôle. Et qui devient, là, devant nos yeux, un nouvel Hamlet. Qui l’invente, le découvre, le souffre, bravant le péril, le convenu, l’inconvenant. Il y a les traces de pas de ce comédien-ci jusqu’à cet Hamlet, visibles, comme de la poussière rouge. C’est Denis Podalydès et il y a un Hamlet de cet acabit par génération. Voilà.

Les costumes invraisemblables de précision de Sylvie Martin-Hyszka, les maquillages de Laura Ozier et les "perruqueries" fantastiques de Cécile Gentilin, participent à l’esthétique "sauvage" de cette pièce féroce comme une bagarre de cockney.

Quel beau carnage, quelle force ! Et l’insolence tranquille affichée de cette Maison qui sait donc autant inventer que conserver…