Je ne suis pas arrivée à l'heure mais ça n'a finalement pas beaucoup d'importance, je découvre aujourd'hui La tournure des choses, le dernier album de Clarika sorti au début de l'année. J'avais vu des affiches dans le métro et, sensible depuis un bout de chemin au style de la luronne, je m'étais bien sentie concernée. Je surveille les prochaines dates de concerts en Ile de France.
La Tournure des choses est encore un disque que j'ai envie de partager, d'offrir aux amies, comme c'était le cas pour le précédent : Moi en mieux. Ce mélange d'insouciance enfantine mutine et de responsabilité curieuse, ce sont un peu les lignes de force du parcours de Clarika et c'est une écriture de l'intime. Dans un album elle rassemble, assemble ses amis, ses enfants, ses disques préférés, ses manies, ses vedettes. Elle fait pièce à ces nouvelles croyances : la nostalgie du passé, la fin des méta-récits, le néolibéralisme, les vacances au soleil, les 15 minutes de célébrités, les supermen.
Clarika est une obstination, une tendresse qui dure, se poursuit, évolue, ondule et perce le temps. Les gens valent beaucoup plus qu'il n'y parait... ou alors ce sont leurs affections qui les sauvent... ou leur chien... ou la grâce. Bon laissons ce sujet ! "La tournure des choses", c'est se lover dans des bras chauds ou une couette musclée.
Clarika est à l'écriture des 11 titres de l'album (le 12ème par Jean-Jacques Nyssen), la composition sous la bienveillance de Jean-Jacques Nyssen en majorité. Florent Marchet collabore pour la musique sur "Sumangali", Ben Ricour pour "Je veux des lettres", Manu Pitois pour "Mâcon". L'album coud mélancolie et ironie avec les expérimentations toujours aussi inédites des accompagnements. La jubilation en partage.
Je distingue "Je veux des lettres" : texte métonymique sur la modernité qui remplace l'écriture manuscrite sur papier par les mails et les textos qui font les mots volatils, administratifs, qui font disparaître les ratures, corrigent les fautes d'orthographe, dénaturent en somme une écriture , une relation ? "Je veux des lettres" pour dire que je veux qu'on pense à moi, qu'on m'envoie des bouts de soi, d'amour, qu'un pneumatique soit encore ce souffle de l'esprit de l'un vers l'autre. "Je veux des lettres" résonne aussi du fond des appartements trop silencieux où les personnes âgées s'ennuient et ne parlent plus à personne, dans l'oubli.
"C'était mieux avant" est aussi un beau morceau d'ironie. C'est bien le début d'une phrase qu'on a laissé sciemment en suspens. C'était mieux avant pour les hommes qui s'appuyaient sur le code Napoléon pour soumettre la femme à son tuteur : père, mari. C'était mieux avant à condition qu'on soit du bon côté du rapport de force... et en amour c'est mieux avant que l'enchantement n'ait un peu terni.
"Sumangali" traduit une autre des obsessions de Clarika : sa conscience globale. Est-on innocent dès lors qu'on est super informé ? La fascination pour la photogénie d'une indienne, d'une travailleuse du textile s'accommode bien vite ou bien mal de ce destin de femmes, de filles à l'horizon empêché. La souplesse de contorsionniste de Clarika et Florent Marchet permet d'aérer cette conscience impuissante avec une musique pop.
Dans les prochaines lettres que j'enverrai aux amies pour leur montrer que je pense à elles, je glisserai aussi "La tournure des choses" qui dit discrètement qu'on sera toujours là les unes pour les autres. |