Correspondances et entretiens de Jean-Luc Lagarce avec Dominique H., Micheline et Lucien Attoun, mise en espace de François Berreur, avec Laurent Poitrenaux.
Ceux qui ont vu "Ébauche d'un portrait", collage d'après le "Journal" de Jean-Luc Lagarce, conçu et mis en scène par François Benneur, l'ami de toujours du dramaturge, et interprété avec une évidence lumineuse par Laurent Poitrenaux, également à l'affiche du Théâtre Ouvert, ne rateront sous aucun prétexte ce nouveau collage.
Cette fois-ci, Lagarce-Poitrenaux n'est pas à sa table de travail, mais dans son lit. Evidemment, cahier en main, comme toujours, il est en pleine écriture.
Sur l'écran en fond de scène, s'inscrivent les dates où il est censé envoyer les lettres qu'il élabore. Ces lettres, elles sont justement destinées aux maîtres des lieux où se déroule la représentation : Lucien Attoun et sa femme Micheline (affectueusement appelée "Attounette" par Lagarce), les fondateurs et les âmes du Théâtre ouvert, dont on entendra parfois les voix.
Lagarce, jeune garçon de Besançon, a adressé par la poste ses premiers textes théâtraux à Lucien Attoun qui proposait dans "Théâtre ouvert", son émission de France Culture, la lecture d'œuvres contemporaines, d'oeuvres vraiment contemporaines Il a tout de suite repéré le jeune provincial, l'a encouragé, lui a pris des textes, les a mis en ondes.
C'est donc lui qui a, sans jeu de mots, ouvert la voie au bisontin fondateur du Théâtre de la Roulotte. Cette voie, c'était donc d'abord des voix comme celle de Christine Cohendy, qui allaient révéler le talent incomparable d'un jeune auteur qu'une mort prématurée a brisé injustement.
À la lecture de son journal, on le savait assoiffé de culture et d'art, cinéphile et grand lecteur, et, curieusement, presque secret sur lui-même. Grand travailleur, il détaillait sans se plaindre, et sur un ton souvent enjoué, les aléas de la vie de metteur en scène et de dramaturge.
Avec ces "Correspondances et entretiens avec Attoun et Attounette", on découvre toute une autre facette de Lagarce. On le voit grandir, mûrir, devenir. Dans cette relation, seulement interrompu par sa mort, naît aussi une grande amitié.
On retrouve dans ses mots sa manière simple et franche d'appréhender le monde, son regard amusé sur ce qu'il fait et ce qu'il est, sa soif de créer sans se soucier des à-côtés et des bas-côtés.
Dans ce montage fluide, connivent, François Berreur montre un Jean-Luc Lagarce plein d'envies et doué pour le partage. De son lit, qu'il quitte pour répondre à un interview de Lucien Attoun ou pour rencontrer Christine Cohendy, Lagarce-Laurent Poitrenaux adresse un grand coucou à ses spectateurs. Encore pétri de grâce enfantine, il évoque sans fioritures et sans gravité la maladie qui le ronge et qui va l'abattre.
L'émotion est au rendez-vous de ce joli théâtre en chambre. Surtout que François Benneur a eu la belle idée de terminer par un extrait vidéo de "Caro Diaro" de Nanni Moretti, rappelant ainsi l'authentique cinéphile qu'était l'auteur d' "Hollywood". Sur la belle musique de Nicola Piovani, Moretti roule en scooter dans les faubourgs de Rome, à la recherche de l'endroit où Pasolini a connu lui aussi un destin cruel. Pasolini et Lagarce : deux amoureux des mots et de la vie, deux souffles poétiques, deux inoubliables, deux à jamais présents...
La preuve ? En octobre 2013, on ne manquera ni la grande rétrospective Pier Paolo Pasolini à la Cinémathèque française (complétée par une captivante exposition "Pasolini Roma") ni les deux spectacles consacrés à Jean-Luc Lagarce au Théâtre Ouvert. |