Comédie dramatique de Eugene O'Neill, mise en scène de Jean-Yves Ruf, avec Gilles Cohen et Jacques Tresse.

A l'entrée des spectateurs, imperturbable derrière le grand comptoir, la réceptionniste écoute un vieux transistor dans le hall de cet hôtel fatigué.

Peu après, Erié fait son entrée, arrivant de quelques jours de bringue, hirsute, se balançant d'une jambe sur l'autre et pas prêt apparemment à aller se coucher.

Celui-ci a bien connu Hughie, l'ancien gardien de nuit, à qui il avait l'habitude de raconter (en les enluminant) ses frasques de jeux des nuits entières. Et il entend bien reprendre son numéro avec ce nouvel employé.

La pièce d'Eugène O'Neill écrite dans les années 40 mais se passant en 1928 à New-York est quasiment un monologue pour Erié, le veilleur de nuit se contentant, lui, d'acquiescer d'un mot ou de glisser quelques phrases laconiques.

Forte de la nouvelle traduction de Louis-Charles Sirjacq, "Hughie" sonne plus moderne que jamais et fait de ce face à face flamboyant et pathétique, une universelle histoire de solitude.

Avec une direction d’acteurs précise et inspirée, Jean-Yves Ruf produit de cet échange, un moment étrange et hors du temps où les deux comédiens semblent tous deux sortis d’un film noir, merveilleusement mis en lumières par Christian Dubet.

Gilles Cohen compose avec alacrité un Erié mythomane, escroc et vantard de belle facture. La silhouette penchée et les yeux mi-clos, le comédien donne corps à son personnage et à ses rocambolesques récits.

Mais c’est Jacques Tresse surtout qui nous impressionne. Son personnage, digne et compatissant, traité avec condescendance par l’autre, reste courtois et écoute avec des rares sourcillements mais n’en pense pas moins.

Le jeu intérieur de Jacques Tresse, déclinant une multitude d’émotions, fait voir toute la vie intérieure d’un homme dont on devine qu’il a dans la tête un monde incommensurable. C’est l’association des deux qui confère à "Hughie" un intérêt prenant de bout en bout et cette singulière atmosphère.

Un très bon moment de théâtre.