Duo comique conçu et mis en scène par Robert Wilson d’après l’œuvre de Daniil Kharms et interprété par Mikhail Baryshnikov et Willem Dafoe.
En s'inspirant du poète soviétique Daniil Kharms, auteur surréaliste, maître en absurde dont la dernière farce fut de mourir à 35 ans dans les geôles de Staline, Robert Wilson ne frappait pas apparemment à la bonne porte pour concocter un spectacle drôle, émouvant, créatif et récréatif, généreux en trouvailles et propice à des envolées poétiques.
C'est pourtant ce qui arrive avec "The Old Woman" où Wilson, au mieux de sa forme facétieuse, a mitonné pour deux ludions grimés en noir et blanc un parcours de joyeux combattants au pays des détails incongrus et des objets biscornus.
Qu'on soit habitué à ce délire maîtrisé de sons, de musiques et de lumières ou qu'on le découvre pour la première fois, on ne pourra qu'être bouche bée devant cette succession de petites saynètes où les deux vieux bonhommes radotent les mêmes histoires de leurs voix stridentes s'échappant de leurs masques figés de trop fardés.
Élégants, élastiques, synchronisés comme des automates, ils se déplacent en danseurs mondains de music-hall dans ce décor combinant le minimal et l'hétéroclite. Pratiquant le cri, le ricanement, le gloussement ou mimant la surprise, l'effroi et bien d'autres sentiments, ils sembleraient sortis d'un cabaret berlinois des années trente s'ils ne pouvaient parfois mêler le russe à l'anglais.
Disciples des Comédiens harmonistes, du Joker de Batman, parfois inquiétants et fragiles comme des créatures de Tim Burton, Mikhail Baryshnikov et Willem Dafoe ne sont pourtant pas enfermés dans un formalisme étouffant.
Dans un monde faussement manichéen où quelques touches de rouge et de bleu, quelques points de jaune, viennent perturber la beauté ordonnée du blanc et du noir, ils savent montrer, sans avoir besoin de se révolter contre leur démiurge, qu'ils sont des acteurs incomparables et des danseurs sublimes.
Quelques pas de Baryshnikov et nous voilà à l'Opéra. Quelques expressions de Dafoe et nous voilà chez Abel Ferrara.
C'est une fantaisie féérique où tout son art se synthétise en quelques traits, qui ne donnent jamais l'impression d'être des effets, que Bob Wilson propose à tous ceux qui sont restés de grands enfants qui regardent avec avidité deux homme sur une balançoire.
Dans ce bric-à-brac agencé avec le soin d'un désordre divin, on soulignera la beauté absolue des lumières d'A.J. Weissbard, capable de colorer en moins d'une seconde une valise géante blanche en rouge ou en vert.
Spectacle magique, envoûtant, s'appuyant tranquillement sur son argument prétexte, "The Old Woman" de Robert Wilson est une merveille qui fait battre les mains et qui, à n'en pas douter, va s'incruster dans bien des têtes pour y imprimer à jamais une cohorte d'images et d'émotions à la beauté tout simplement inoubliable. |