Comédie dramatique de Alexandre Koutchevsky, mise en scène de Jean Boillot, avec Francis Albiero, Arlette Bonnard, Géraldine Keller, David Maisse, Stéphanie Schwartzbrod et les musiciens Antony Millet, Bachar Khalife et Vassilena Serafimova.
Dans le chaleureux théâtre en bois du NEST (pour Nord ESt Théâtre) qu’il dirige depuis 2010, Jean Boillot crée "Les morts qui touchent", un spectacle musical atypique où il a fait appel au compositeur argentin Martin Matalon pour donner un contrepoint musical au texte d’Alexandre Koutchevsky.
Celui-ci, auteur-aviateur, nous raconte en cinq parties l’histoire d’une femme atteinte d’un cancer qui peu à peu se retire du monde, refusant d’être vue dans ses derniers jours. A sa mort, sa fille effectuera un voyage dans ses souvenirs et sur ses traces pour la voir une dernière fois et accomplir son travail de deuil.
Sur scène, dans la superbe scénographie de Laurence Villerot, à la fois légère et astucieuse, les comédiens, la chanteuse et les musiciens évoluent de concert avec une belle unité. La concentration des uns et l’application des autres ménageant une tension haletante.
La mise en scène fine et sensible de Jean Boillot mélange telle la cuisine d’un grand chef les ingrédients (texte, musique, sons) pour un résultat le plus fluide possible. Et c’est cette retenue, cette attention de tous les instants dans ce travail, créant des images instantanées ou vivaces, qui nous parle intimement et touche au cœur.
Ainsi l’on pourra rencontrer au cours de ce récit, d’autres morts connus ou inconnus comme ce jeune burkinabé, Cristobal Kendo, qui part de Ouagadougou dans la trappe du train d’atterrissage d’un Boeing 747 et tombera dans la forêt de Rambouillet. Il y a aussi la tombe de Vladimir Jankélévitch qui converse avec ses voisins. Le texte poétique et très cinématographique d’Alexandre Koutchevsky multiplie les points de vues, les focales et met en perspective les destins de morts, qu’ils soient célèbres comme Jankélévitch, ou inconnus comme Cristobal Kendo.
Dans "Les morts qui touchent", on parle en Temps universel (TU) et une couverture de survie vole comme le fantôme de celui qu’elle recouvrait dans les airs… Alors reviennent des souvenirs, des sensations et des images fugaces. On entend le bruissement du vent dans les arbres, des plaintes au lointain. Le parcours de vies et ce qu’elles deviennent dans la terre. Tout est fait sans pathos, avec une permanente légèreté.
Les musiciens du trio K/D/M jouent en direct, accordéon et percussions, prolongés par les sons électroniques de Stéphane Faerber qui donnent à l’ensemble une ambiance irréelle.
Antony Millet égrène des notes facétieuses à l’accordéon tandis que les percussionnistes, Vassilena Serafimova et Bachar Khalife passent avec virtuosité d’un instrument à un autre (vibraphone, marimba, galets…), soutenant en permanence le fragile équilibre. Et les lumières de Perceval Sanchez (à qui on doit une sublime course de nuages) contribuent aussi à créer ce cocon d’où l’on a la sensation d’être entouré d’âmes bienveillantes.
Pour faire entendre le texte, Francis Albiero et David Maisse forment un duo à la fois tendre et espiègle, la grande Arlette Bonnnard (la mère) nous étreint le cœur avec un jeu d’une grande simplicité qui s’avère d’une puissance immense, tandis que Stéphanie Schwartzbrod (la fille) percute et émeut infiniment dans son parcours de mémoire. Tout autour, comme un esprit ou un ange, la chanteuse Géraldine Keller à la voix envoûtante accompagne les morts et les vivants, les faisant tantôt parler, gémir ou crier.
"Les morts qui touchent" est une œuvre sensible et douce qui pose sur la mort un regard d’explorateur à la fois naïf et lucide. A la fin, il ne reste rien ou presque… Des souvenirs dans le vent. Et dans la terre, quelques petites fleurs, des pensées… |