J’ai eu l’occasion cette semaine de visiter le collège où travaille S., dans la banlieue proche de Manchester, à l’occasion d’un spectacle de Noël.
Si les mots "école" et "spectacle de Noël" vous évoquent une représentation un peu cheap où quatre pré-ados déguisés en légumes dodelinent en marmonnant un chant sur la reine, oubliez : ce que j’ai vu est une grosse production, une relecture ultra calibrée de la comédie musicale Les Misérables avec orchestre de chambre, kits micros oreillette pour chaque chanteur (dont certains étaient fort doués), fumigènes, régie lumière, et système de diffusion dernier cri.
Ce collège est assez loin de l’image que l’on pourrait se faire d’un établissement public lambda en Grande Bretagne. Créé en 2009 et réinstallé en 2012 dans un bâtiment dernier cri aux allures d’usine design, il accueille quelque 1400 collégiens en uniforme bleu sarcelle. Un nouveau directeur débarqué cette année impose une discipline de fer à des élèves plutôt middle class et majoritairement tranquilles – bien que l’établissement éduque également quelques éléments borderline, dyslexiques ou autistes, sans doute sources de financements étatiques supplémentaires. Car il ne faut pas être dupe – d’ailleurs le site officiel de l’école est tout à fait transparent à ce sujet, se présentant comme une "compagnie privée" : ce collège, dont l’obsession est la culture du résultat, est une machine à fabriquer des travailleurs.
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Dans ce décor orwellien, on peut lire, entre les énormes conduits volontairement laissés apparents et peints aux mêmes couleurs éclatantes que les murs, des mots, aphorismes et citations en lettres géantes qui encouragent les bons petits soldats à travailler dur, persévérer, être exemplaires. Bienvenue dans Liberal Land, les petits.
Pour être exact, ce collège est une "Academy", une école indépendante financée par l’État. Ce nouveau type d’établissement est un phénomène britannique en pleine expansion : on est passé de 203 écoles du genre en mai 2010 à près de 2500 en novembre 2012.
Un récent rapport de la Commission sur les académies, enthousiaste sur leur principe, met cependant l’accent sur l’un des aspects les plus controversés des Academies : celui de la sélection dissimulée. Comme elles ne sont pas censées choisir leurs élèves, mais que leur renouvellement et leurs subsides dépendent de leurs résultats, les écoles détournent les règles, en organisant par exemple des "rencontres" (euphémisme pour entretiens) avec les parents candidats lors d’évènements qu’elles organisent.
Certains politiques, commentateurs, syndicats et enseignants reprochent également aux Academies leurs méthodes expéditives de renvoi (on a constaté quatre fois plus d’élèves virés entre les Academies et les autres écoles du Middlesbrough en 2005), et leur prix : 25 millions de livres sterling en moyenne pour construire une école de ce genre nouveau.
En regardant ce spectacle, je me suis demandé si la Grande Bretagne n’était pas en train de se construire une éducation à deux vitesses. Les Academies risquent fort de devenir des centres d’excellence, capables de façonner l’élite… Mais où vont se retrouver les élèves non retenus au casting, ou éliminés avant la fin du jeu ?
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