Ce n’est pas par manque de moyen mais bien par choix que la superstar décidait de sortir cet album en dehors du circuit traditionnel, puisque "[ …] lasse des habitudes de distributions, je voulais seulement faire de la musique qui plairait à mes fans" et d’ajouter : "[…] leur offrir les images que j’ai dans ma tête avec chaque chanson". Parce qu’en plus de prendre le monde de la musique par surprise le vendredi 13 décembre avec 14 nouveaux titres, la chanteuse accompagne le package téléchargeable de 17 vidéos illustrant l’album. Ce dernier a déjà réussi en moins d’une semaine à dépasser les ventes de son prédécesseur, 4 sorti en 2011.
Ce qu’elle dénomme "Visual Album" apparaît, cependant, dans une logique ambivalente. D’une part, la chanteuse est belle et bien en train de briser un code accompagnant l’industrie du disque depuis des lustres, réaffirmant au passage que le plus important est et demeure la musique et son public. Alors que d’autre part, elle reste elle-même une pure création de cette industrie, puisque l’objet s’avère être en tout point (audio et vidéo) une superproduction d’une superstar.
Fort heureusement, l’album en question est d’une rare qualité et vient confirmer le statut d’artiste de niveau mondial de la chanteuse, puisqu’elle a été capable de sentir et de reproduire les attentes musicale du public de 2013 (et vraisemblablement de 2014) sans pour autant sacrifier sa personnalité. Une erreur que certaines autres "artistes" n’ont pu éviter dernièrement (Britney Spears, Rihanna et Lady GaGa, pour les lecteurs néophytes de cet univers pop cheap et putassier !).
Au niveau sonique, la qualité vocale qui personnifie la chanteuse est au rendez-vous et jouira de quelques productions dédicacées comme "Heaven" ou le titre d’ouverture écrit par Sia, "Pretty Hurts". On y retrouvera aussi quelques guest vocaux (dont un inévitable featuring avec Jay Z, "Drunk In Love"), aidant à ancrer l’album dans son époque, comme Drake ou Frank Ocean (le magnifique "Superpower") mais surtout une collection de collaborateurs qui ont fait de cet album un bijou à la production carrée.
Ainsi, Boots et ses productions plutôt low-fi signent pas moins de 9 titres, dont l’excellent "Haunted" qui, avec sa ligne de basse et ses petits airs électro, envoie la chanteuse sur des rythmes que l’on entend plus volontiers de l’autre côté de la Manche.
Mais aussi Timbaland et Pharrell Williams, souvent épaulé par Justin Timberlake qui à eux trois réussissent à cisailler des sons avec une précision démentielle. Exemple à l’appui avec "Blow", équilibre parfait entre les percussions et les beatbox de Timbaland, l’esprit rétro de Timberlake et la dose de sensualité dont Pharell a le secret.
A côté de ce quatuor d’exception, la diva s’est aussi offert les services de Caroline Polachek (de Chairlift), histoire d’assurer un esprit un peu plus indie à l’album, en plus de damner le pion (ou de faire un clin d’œil, c’est selon) à sa petite sœur Solange (Solange ayant travaillé l’année dernière avec Polachek).
Et si, par le titre même de l’album, on est en droit de s’attendre à un album basé principalement sur un ego trip, on reconnaîtra deux points principaux que Beyoncé avait déjà effleurés sur ses albums précédents.
C’est d’abord, bien évidemment, la question de l’achèvement personnel, puisqu’elle commence avec la question de l’acceptation de soi ("Pretty Hurts"), pour embrayer sur l’amour ("Drunk in Love") et conclure avec la maternité ("Blue"). Rien de bien original me direz-vous, si ce n’était l’hyper sexualisation que la chanteuse utilise sur chacun de ses titres. D’autant plus que celle-ci est utilisée pour défendre un point de vue féministe, ou tout du moins, prônant l’émancipation.
De fait, elle dénoncera les canons de beautés occidentaux ou parlera d’amitié féminine, de sexualité, de fausse couche (en référence à sa propre expérience, sur le titre "Heaven") et se posera en bad girl consciente de son image, sur l’excellent dyptique "Yoncé / Partition". Titre sur lequel elle affirme sans détour (et en français) : "les hommes pensent que les féministes détestent le sexe, mais c’est une activité très stimulante et naturelle que les femmes adorent" (en référence directe à The Big Lebowski), signant ainsi qu’elle assume sa sexualité et ne s’en cache pas.
Beyoncé est donc fort d’un propos intelligible, mais aussi d’une musicalité de tout instant et qui n’a pas cédé aux sirènes de la facilité. Ce cinquième opus de la chanteuse américaine est tout bonnement sa meilleure sortie à l’heure actuelle et on ne vous parle même pas des 17 vidéos du package. Hautement addictives, elles confirmeront sans aucune difficulté la réussite de cet opus qui a atteint un équilibre parfait entre "main stream" et "indie" (s'il existe encore un sens à ses mots), mais aussi entre la musique pop "up-tempo" et les balades R&B. Ce qui sacrera une fois pour toute, celle qu’on appelle "Queen B", comme la seule et véritable reine de la pop. |