Dans la tête d’un génie est l’exemple parfait du titre trompeur pour un livre. Masha Gessen, l’auteure, nous présente l’histoire de Grigori Perelman, le mathématicien qui a réussi à résoudre la conjecture de Poincaré, un problème mathématique considéré comme un des plus complexes et resté pendant un siècle sans vraie solution. Je parle de titre trompeur car on pourrait s’attendre à un échange avec le mathématicien de génie, une tentative d’explication de sa façon de raisonner, un début d’explication de sa démonstration et en fait, il n’en est rien.
La première raison est que Masha Gessen n’a ni rencontré, ni interrogé Grigori Perelman pour écrire son livre, conséquence directe et imparable du fait que Grigori Perelman s’est retiré du monde. La deuxième raison à mon avis est qu’il serait bien présomptueux de vouloir faire un livre grand public sur des notions scientifiques qu’une poignée de personnes sur Terre peut appréhender correctement. En procédant ainsi, l’auteure a été très respectueuse du mode de pensée de Grigori Perelman. Masha Gessen arrive malgré tout à présenter un livre original tant sur la forme que sur le fond.
Avec Dans la tête d’un génie, vous allez découvrir qui est Grigori Perelman. Comment il est devenu un génie des mathématiques, son parcours dans les écoles et le système pédagogique russes de la période de la Guerre Froide, son ascension jusqu’aux plus grandes universités internationales.
Je trouve que le livre a quelque chose de la résolution d'une équation. Des éléments connus : un mathématicien ayant un caractère un peu spécial et un problème mathématique sans solution depuis plus de cent ans, associés à des inconnues : les évènements divers et variés de la vie de Perelman, donne le résultat suivant : Grigori Perelman a prouvé la conjecture de Poincaré. Comme la résolution d’une équation, le récit est une description et une manipulation très rigoureuse de ces éléments pour arriver à une démonstration finale.
Si l’auteure Masha Gessen a écrit son livre dédié à Grigori Perelman sans l’avoir interviewé, elle a surpassé ce manque en effectuant une reconstitution méticuleuse de la vie de Perelman grâce aux récits des personnes l’ayant côtoyé toutes ces années. Si le livre ne traite que peu de raisonnements mathématiques, il suffit de savoir qu’on y parle de topologie, de flot de Ricci, de géométrie riemannienne, d’espace à courbure positive... pour se rendre compte que nous nous trouvons en présence de concepts que seulement une poignée de personnes peut apprécier. Imaginez qu’il a fallu plus de deux ans aux plus grands spécialistes pour lire, comprendre et arbitrer la validité de la démonstration mathématiques de Perelman qui tient dans quelques dizaines de pages. Le grand intérêt du livre se situe donc ailleurs et plus particulièrement au niveau de la description du fonctionnement peu connu du système éducatif soviétique des années 70-80. On y découvre comment sont formés les petits génies des mathématiques, comment ils sont sélectionnés et surtout comment ils peuvent être écartés des institutions.
Finalement, le titre original du livre : Perfect Rigor : A Genius and the Mathematical Breakthrough of the Century me semble juste. La rigueur parfaite telle pourrait être la raison d’exister de Perelman. A un point tel que cela ne s'appelle plus de la rigueur, mais des troubles neurologiques. La thèse de l'auteure, elle même, est que Grigori Perelman est atteint du syndrome d'Asperger, une forme d'autisme. C’est cette rigueur parfaite qui, au terme d’un travail solitaire de plusieurs années, lui aurait permis de résoudre l’énigme. Et c’est également cette rigueur parfaire qui lui aurait fait refuser les médailles et autres prix que la communauté scientifique lui a attribués et finalement l’aurait poussé vers un abandon de son poste de chercheur et de tous liens avec le monde des mathématiques.
Grigori Perelman serait-il devenu lui-même une énigme "mathématique" ? |