Yann Destal, en juin 2013, a sorti un album Let me be mine dont je ne me lasse pas. S'inspirant de la musique des années 70, il est un peu Neil Amstrong contemplant la Terre avant d'alunir. Une époque où l'homme partait à la conquête de l'espace, où la consommation et l'urbanisation en expansion incitaient la jeunesse à expérimenter d'autres formes de voyages, comme partir pour des pays du Tiers Monde, ou essayer des drogues ou inventer une musique rock de chamane.
Yann Destal dans Let me be mine ravive ce passé proche et assouvit toutes ses envies avec démesure et éclat. On retrouve les ambiances musicales de certains films : citons Qui ? de Léonard Keigel avec Maurice Ronet et Romy Schneider. Un couple se dispute. L'homme conduit la voiture à toute vitesse et fonce la précipiter dans la mer en contrebas de la falaise. Elle saute de la voiture avant la chute et appelle les secours. On ne retrouve pas le corps de son amant noyé dans l'accident. Le frère (Maurice Ronet) arrive. Homme solitaire et irascible, il ne cesse de croire qu'elle a tué son frère, ce qui ne le dissuade pas de céder à son charme et de coucher avec elle. Elle se sent traquée : elle ne sait pas si elle est devenue folle ou si son amant tyrannique est ressuscité des morts pour la hanter. Ce n'est peut-être pas un grand film. Il est le produit d'une époque où la méfiance s'infiltre un peu plus entre les gens, comme s'ils évoluaient sous la menace d'un renversement ou d'un danger imminent. Malgré cette tension permanente, les personnages sont élégants : les femmes ont des brushing impeccables, des vêtements moulants, les hommes portent des imperméables et conduisent des voitures racées avec des gants de cuir. Les femmes sont peut-être perçues comme des pestes. Elles n'hésitent pas à se battre physiquement.
Let me be mine me rappelle cet esthétisme grâce à son orchestration extrêmement soignée, qui se déplace pour prendre tout l'espace. Ses parties de guitare se répètent comme un ressac ou le bruit de moteur d'une voiture conduite par un fantôme. Les voix des choeurs sont une incarnation à l'antique des oracles. Yann Destal se serait-il choisi le double parrainage de Bowie et Bolling ? Cet album traverse le ciel de la production actuelle comme une météorite qui, en provenance d'hier, réinterprète le présent et en pulvérise le fatalisme et le consensus tiède. Et si on n'y croyait plus à la crise, on écouterait alors l'audace, l'excès et les ravages de l'éternel présent. Il me semble que c'est en quelque sorte la proposition de Let me be mine de Yann Destal. |